Chronique du comté de Narbonne.

Mon très cher parent!

Quand vous lirez cette lettre, Monsieur Patrick de la Nappe, que vous connûtes  lorsqu’il chroniquait sur les embouteillages créés par l’édit du seigneur de l’époque, notre estimé duc de Lamonyais, qui crut bon d’interdire alors la circulation de carrosses dans le centre de notre cité, Monsieur Patrick de la Natte donc, disais je, sera lui, quand vous me lirez, tout content de revêtir, ce tantôt, sa vêture espérée de porte-plume en chef de  Messire Jacques de Labatou, comte de Narbonne et seigneur de ces terres prises au susdit Lamonyais en l’an 2008 de notre ère; des terres dont je vous ai si souvent vanté les couleurs et les pâles vertus. La vigne et le rythme singulier de sa culture, imprègnent ici, en effet, les esprits et les mœurs de tous ceux qui y vivent . Un étrange mélange de nonchalance attristée et de frondeuse contestation les poussent ainsi, je vous l’ai maintes fois écrit, par une implacable logique où l’intérêt se pare des idéaux de la «  communauté », à se soumettre aux seigneurs  les plus adroits et les plus généreux dans la distribution de prébendes, faveurs et privilèges. Mais je m’égare! Pour en revenir à notre Monsieur de la Nappe, ni les cloches de Saint Just, ni les trompettes de la cour n’ont encore sonné pour saluer l’arrivée du nouveau chevalier à la propagande seigneuriale qui, jadis, fut celui, farouche, d’une information plébéienne exprimée en toute liberté. Seuls, pour l’heure, ses amis gazetiers ont aligné quelques  fades et précautionneux traits. Il est vrai qu’ils n’ont pas oublié ses féroces assauts, menés, du haut de sa monture de premier Scribe en Chef d’une des deux gazettes locales, quand il sabrait, du glaive de sa vérité, le mal et le mensonge qu’incarnaient, alors, à ses yeux, le duc de Lamonyais et son intendant, le sieur Lemaillet. La prudence, mère de la fortune, naturellement s’imposait à nos échotiers ! Mais, déjà, tu ne me croiras pas, dans les tavernes, les guinguettes et devant les étals du marché, on ne murmure le nom de Patrick de la Nappe qu’avec crainte et fascination. Est ce à cause du souvenir de sa haute silhouette, de son visage acéré, de sa petite queue de cheval dégageant le haut de son crâne dégarni, ou de ce style si particulier qui donnait à ses écrits une autorité implacable ? Sans doute un peu de tout cela ! Je ne suis pas sur, ce disant, que  les prétendants au « trône » du comte, forts nombreux et dispersés comme un nuage de sansonnets, en soient les plus affectés. Nenni ! j’entends plutôt, en effet, des bruits de cour, certes aujourd’hui mesurés,  mais qui demain, sans aucun doute, feront trembler les murs, les plafonds et les tourelles du « Château ». Monsieur de … me l’assure, intendants, surintendants, valets et «  petits ducs » affuteraient distraitement dagues et fleurets.  A ce propos, j’ai appris ce matin, qu’un dénommé Le Noir, au visage lourd et onctueux, avait désormais les yeux et les oreilles du comte de  Narbonne. Alain de Paréo, l’ancien économe du palais, ayant été répudié par son maître, tenterait, me dit-on, d’oublier sa déconvenue dans les nuages tabagiques d’une étrange tribu de fumeurs de Havane !  Tribu dans laquelle s’ébroue et se console aussi De la Brindille, éphémère gouverneur du Roi, frappé de déchéance et plein de ressentiment envers sa majesté Nicolas Sarcoti. Toute cette petite compagnie ripaillant dans la joie narcissique d’appartenir à une confrérie bénie par les dieux du pouvoir, et, pour certains, de l’argent. Comme tu peux le constater, mon cher Oncle, la vie de la cour, dans cette petite ville qui se veut grande, est très agitée. Il ne passe pas une journée sans que n’entrent ou sortent, dans les conversations de table, courtisans et flatteurs déchus ou honorés. Mais il se fait tard, et je connais ton impatience à me lire. Je connais aussi ton goût pour les courtes missives. C’est donc avec le plus grand respect que je dois à ton âge, que je te laisse méditer ces petits jeux de la « haute société » narbonnaise. Je ne manquerai pas non plus, d’adresser à Patrick de la Natte tes vœux de bonheur dans ses nouvelles fonctions. Tu m’avais dit qu’il devrait, un jour, les exercer en récompense de son zèle passé à saborder les travaux de l’ancien seigneur des lieux, le duc de Lamonyais. Ton flair, et ta connaissance des hommes, encore une fois, n’ont pas été pris en défaut ! A bien y réfléchir, il devrait s’y épanouir. Seule la distance, en effet, sépare son ancien office de celui qu’il va demain occuper.Je t’embrasse affectueusement et ne manquerai pas de te narrer très bientôt les prochaines tribulations de la petite – mais elle se veut grande ! – société narbonnaise. Couvre toi bien ! Le vent est toujours froid, malgré un fort redoux.

Ton fidèle neveu.

 

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