Cultures d’Oc. A la galerie AMJaumaud (Narbonne), déambuler dans la ville ou sur la peau des légumes.

Contreregards-Jean-C-Alix-Laurent-Bonneau


A la galerie Anne-Marie Jaumaud, jusqu’au 31 août une très belle exposition donne la parole à deux artistes Narbonnais, Laurent Bonneau et Jean-Christophe Alix.

Laurent Bonneau expose 50 vues de Narbonne, des dessins originaux reproduits dans son livre qui paraît en ce moment même aux éditions Passé Simple, Narbonne par Bonneau. Une écriture précise intelligente ; des lieux, des espaces de Narbonne, des plus célèbres aux plus anodins. On est toujours impressionné par le travail de Bonneau, quelle que soit la forme qu’il prenne. Ici du côté de l’archiviste, du vedutiste.

Le vedutisme, de vedute, vue, en italien, est un genre pictural développé aux 17 et 18e s, qui consistait à peindre des villes. Le nom ne vous dit peut être rien, mais vous connaissez sans doute la vue de Delft de Vermeer, les vues de Venise de Canaletto, ou encore celles de Dresde par Bellotto, sans oublier les vues scénarisées de Paris par Hubert Robert. L’idée est de mettre en valeur la virtuosité, l’imitation de la réalité mais sans tomber dans l’exercice servile ou ennuyeux, et en s’attachant à montrer la ville comme une mise en scène contrastée avec ses acteurs majeurs, et d’autres plus humbles, plus subtils aussi, parfois même décrépits ou insignifiants. Le projet de Bonneau est inédit je crois pour Narbonne. Il a capté les ambiances de la ville en imposant son tempo à lui ; s’est attaqué à des monuments inoxydables (la cathédrale), d’autres fraîchement disparus (le Vox), d’autres sans valeur esthétique (rues secondaires ; parkings). Un projet considérable, exécuté dans une cohérence formelle et intellectuelle remarquable.

Signalons aussi l’opus 2 de la revue Récifs, où dialoguent les dessins de Laurent et les magnifiques photos de Marie Demunter, dans un récit sans parole d’une intensité palpable. A quand l’expo de ce très beau dialogue, qui à mon sens fonctionnerait à merveille dans un espace d’exposition ?

Au sous-sol de la galerie, Jean-Christophe Alix expose La vie intime des légumes, une série de tirages numériques noir et blanc sur aluminium. Autre univers que celui des légumes et de la macrophotographie, mais finalement même travail de topographe qui agit sur notre regard bien après le temps de l’exposition. Représenter les fruits de la nature, une grande tradition artistique qui a pris les formes les plus diverses. Ici on pense au bodegon, la nature morte espagnole des 17 et 18e s, qui fut une tribune pour le minimalisme et les légumes biscornus, et dont un des meilleurs hérauts fut Sanchez Cotan. Dessinateur, sculpteur d’une grande rigueur formelle, Alix livre ici une série où sont célébrés par le caprice des formes ceux de la vie. Car Alix a saisi ses sujets dans leur vie d’après potager, quand ils continuent à se développer pour devenir étranges; s’arment de bras inquiétants (pommes de terre), s’animent d’une grâce d’arabesques (asperges) ou d’une libido sans fard (carottes). Une ode à la vitalité folle de l’inoffensif. Beaucoup d’humour et un grand sens plastique dans cette très belle série, qui n’aurait pas été possible sans une profonde empathie pour cette vie secrète.

Et bien sûr si les artistes sont sur le devant de la scène, devant le public, c’est grâce à la détermination, au discernement, à l’exigence de la galeriste qui concourt ici de façon bénéfique non seulement à la vie culturelle, mais aussi à l’image même de la Ville.

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