Éclats de mémoire – d’une vie…

Lu.22.1.2024

Notre cerveau est une véritable salle de montage. Il sélectionne des quantités d’images sonores, olfactives et visuelles perçues ou imaginées, les réorganisent, les coupent et les collent afin de donner à l’évènement, les faits ou l’idée dont elles sont la source, une unité, un sens. Et à défaut une cohérence d’ensemble, qui, à l’expérience, se moque de toute notion d’espace et de temps. Ainsi, chaque jour qui passe – une facilité de langage : car le temps dure et ne passe pas – depuis la mort de ma mère, mardi dernier et le jour de ses obsèques, samedi, qui fût aussi le jour anniversaires de ma dernière petite fille – 12 ans déjà –, défilent en mon esprit les mêmes plans, les mêmes scènes en noir et blanc. Un film dont je ne cesse d’interroger, d’interpréter les trous, immenses et profonds, de sa vie… et de la nôtre. Ma mère était une femme qui s’exprimait peu, en mots, gestes ou sentiments. Ce n’est qu’à l’âge adulte que j’appris par des tiers le lieu et les conditions dans lesquelles s’ouvrît sa grande déchirure existentielle. Que je compris les raisons de sa sévère et inguérissable solitude : cette douleur de devoir quitter ses grands-parents maternels à 11 ans, 12 ans peut-être, et ce misérable hameau de Bénasque posé sur deux rochers au flanc nord de la montagne de la vallée d’Artiès, en Ariège, pour rejoindre sa mère et son père adoptif – le seul qu’elle ait jamais connu, en terres narbonnaises. Depuis samedi, disais-je, s’ajoutent à cette histoire d’autres images que le quotidien m’offre souvent de manière inattendue. Et qui parfois me serrent la gorge. Ce matin encore, derrière le monument aux morts, se tenait la cérémonie de remise des « képis blancs » aux légionnaires de Castelnaudary. Une voix grave sortie du rang pour donner le ton s’est élevée au moment où je m’informais des raisons de cette manifestation. Une voix grave, lourde et lente qui chantait ainsi : « Les oies sauvages vont vers le Nord / Leurs cris dans la nuit montent ». Une voix reprise en chœur, en marche et au pas, dans une parfaite unité de ton et de mouvement : « Gare au voyage, car la mort / Nous guette par le monde… » Je pensais qu’à conter cela qui tant m’émut alors, me vaudrait de sourdes critiques. Dans ce monde, en effet, nos vies ne s’écrivent et ne se pensent plus, si je puis dire, qu’à la lettre. Une lettre qui n’est plus modelée par un imaginaire nourrit par d’infinis interprétations symboliques. Un monde sec, violent, où des « poètes », dans un texte d’une exaspérante nullité formelle, exigent « la mise à mort » d’un des leurs, parrain d’un « printemps » à eux pourtant promis.

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Commentaires (2)

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    Didier

    |

    Nous sommes tous confrontés à ces vides dans les histoires de nos vies. Une vieille photo dans un tiroir. Sa mère au milieu de quatre ou cinq personnes. Deux ou trois sont connus, et reconnus. Mais les autres, forcément de la famille puisque présent à une fête familiale. Mais qui ? Trop tard pour le demander, les témoins ont disparu depuis longtemps. Pourquoi attendre la cinquantaine, voire plus pour s’intéresser à l’histoire ou la généalogie de sa famille. Trop tard, le temps a passé et ses traces ne sont indélébiles que dans nos mémoires incomplètes

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