Félicien, l’innocent. (Conte de Noël de Jacques Raynal)
Jacques Raynal, qui depuis quelque temps nous avait quitté, nous revient aujourd’hui, pour notre plus grand plaisir, avec ce délicieux conte de Noël. Qu’il en soit remercié!
A Elisa et Jules mes petits enfants, ces brindilles cueillies du champ de mes délires…
Cela se passa autrefois, il y a longtemps, ici ou sur une autre planète que la notre. De toute façon, peu importe car cela finira bien par nous arriver aussi.
Vous comprendrez pourquoi un jour ou l’autre.
Cela se passa donc, il y a longtemps, dans une petite ville entourée de riantes collines…Une cité en tous points conforme a celle que vous pouvez connaître et pourquoi pas à la votre.
Il y avait déjà, car cela est immémorial, des tas d’institutions qui régentaient toute choses et puis il y avait des gens qui dirigeaient ces institutions, enfin il y avait les riches qui coiffaient le tout…Comme aujourd’hui.
Il y avait aussi beaucoup, énormément de pauvres…Ils avaient un peu de mal a respirer les pauvres, écrasés qu’ils étaient sous une avalanche de lois, de décrets et de principes qu’ils ne comprenaient pas toujours très bien…Mais enfin c’était peut-être mieux.. qu’ils ne comprennent pas tout et cela faisait vaille que vaille marcher le système…On faisait même en sorte qu’ils en comprennent le moins possible, parce que le jour ou le peuple comprend, il se passe des choses épouvantables…Enfin, épouvantables pour ceux qui le gouvernent, bien sur.
Donc, tout allait pour le mieux dans le moins mauvais des mondes possibles.
En ce temps là, vivait dans un château splendide, juché sur la plus haute colline, un vieux monsieur immensément riche.
Il était si riche, si respectable et si respecté que tout le monde l’appelait Monsieur…Seulement Monsieur.
C’était ce que l’on appelait alors un brasseur d’affaires ; il pouvait, sur un simple coup de téléphone, gagner autant d’argent qu’un vigneron peut en gagner en plusieurs années de dur labeur…Et encore, si la grêle ne s’en mêle pas.
C’était un espèce de patriarche hautain et méprisant qui régnait sur une famille ou tout le monde portait un costume trois pièces et avait à la main une de ces petites valises qui vous posent un homme et que l’on appelle bizarrement ‘’attaché case ‘’…Je ne vous garantis pas la prononciation…
Il avait de nombreux fils et beaucoup de neveux et tout ce petit monde s’occupait qui de marketing, qui de gestion de portefeuille, qui de créneau conjoncturel…bref, des tas de choses barbares et incompréhensibles mais qui avaient le don, en tous cas, de les faire tous se ressembler dans une sorte d’uniformité, plastifiée comme leur carte American express, et dans laquelle tout, depuis le regard empreint de dynamisme en passant par le pli du pantalon de flanelle, tout, donc, semblait avoir été pensé pour intimer le respect d’une fonction essentielle à notre ordre social.
C’étaient ce que nous appellerions aujourd’hui des jeunes cadres dynamiques et, bien entendu, car cela va avec, aux dents de loup.
Cependant, il en était un qui déparait le tableau…le neveu Félicien…Félicien était son prénom mais comme réellement on ne pouvait lui imputer l’invention de la poudre a canon ou du fil à couper le beurre on l’appelait dans les campagnes ‘’l’innocent, Félicien l’innocent’’ (prononcez s’il vous plait l’innouceint, nous sommes en Occitanie)
Il ne s’offusquait pas de ce surnom d’ailleurs, rien ne le vexait…Quand on l’interpellait ainsi, il éclatait d’un gros rire sonore et il donnait une grande tape amicale sur le dos de son interlocuteur…Ce qui provoquait généralement chez celui-ci un hoquet douloureux car Félicien était très fort s’il n’était pas outre mesure, comment dire…finaud.
Félicien, donc, était aussi pauvre et même peut-être plus que Job..Il s’en moquait éperdument d’ailleurs car il n’avait aucune idée de ce que pouvait être l’argent et son utilité…Disons pour simplifier qu’au moment de la distribution des capacités, il était arrivé en retard…Il n’était jamais à l’heure d’ailleurs et du reste il n’avait pas de montre, il marchait au soleil..et, bien sur, avec ces nouveaux décrets sur les horaires d’été, les horaires d’hiver, ça lui déréglait tout.
Quand il s’aperçut du manque flagrant de don pour les affaires de Félicien, monsieur, son oncle, fut, bien sur fort contrarié mais enfin il se fit une raison et comme il n’aimait pas que les gens restent inoccupés a rêvasser bêtement et ne rien faire, il en fit son balayeur, son homme de ménage en quelque sorte. Félicien fut d’accord..il était toujours d’accord …et depuis il brossait, il balayait, il astiquait consciencieusement chez son grand homme de tonton.
Il faisait là ses sept, huit heures de travail quotidien, jamais plus, car l’oncle respectait la législation..On ne sait jamais avec ces syndicats…Et puis le soir, il posait son plumeau, ses brosses et ses balais et il partait rejoindre ses amis dans les quartiers pauvres de la ville. Il passait là des soirées merveilleuses, entouré de tous ses copains les enfants ; ils se racontaient des histoires sans queue ni tête, ils jouaient aux billes- on jouait encore aux billes en ce temps là –et ils riaient comme des fous sous le regard amusé de la lune complice.
La vie passait ainsi…et puis, un jour, ce fut Noël.
Chez Monsieur on avait élevé un immense sapin plein d’enluminures extraordinaires et de décorations fantastiques. Monsieur avait acheté très cher une véritable étoile pour mettre tout en haut de l’arbre…une vraie, venue tout droit du ciel..Enfin, c’est ce que l’on avait dit a Félicien et il l’avait cru, bien sur, avec cependant un peu de peine dans son cœur en voyant que même les étoiles se laissent acheter.
Ca sentait bon le luxe, la chaleur et la bonne chère chez son oncle…Mais cela ne rendait pas ses frères ou ses cousins plus joyeux, non…Ils avaient programmé Noël comme le reste, dans une page de leur agenda croco, comme une échéance qu’il convenait d’honorer, c’est tout.
Mais Félicien, lui, sans comprendre très bien pourquoi, il se sentait plus léger, meilleur, plus près des autres ; on lui avait expliqué que l’on fêtait ce jour là la naissance d’un enfant et dès qu’un enfant naissait, ou que ce soit, le cœur de Félicien s’emplissait de joie et de gratitude et ça lui donnait envie de pleurer.
Il avait été voir ses amis dans les quartiers pauvres de la ville et là il n’avait pas compris…pas d’enluminures, aucune guirlande, parfois même, pas de sapin..Comme c’était triste, rien ne brillait, tout était désespérément terne dans les petites maisons.
Il pensait à cela en passant son balai et il cherchait a comprendre. Pourquoi tant de lumière chez les uns et tant de grisaille chez les autres ? Quand tout à oup son regard s’arrêta sur le mur de la pièce…Son oncle était parti et il avait du mal enclencher la porte de son coffre car celui- ci était entr’ouvert légèrement ; cela faisait désordre et Félicien s’approcha pour le fermer correctement.
Il avait à peine ébauché son geste que son regard devint brillant et qu’il s’arrêta stupéfait ; là, à portée de ses mains, brillaient de tous leurs feux des pierres magnifiques de toutes les couleurs possibles, des rouges, des bleues, des vertes ; il y avait aussi des blocs d’un jaune lumineux et des colliers, des rivières de perles…enfin un éblouissement de reflets limpides et chatoyants…Comme c’était beau !
Alors Félicien, le pauvre innocent, pensa dans sa pauvre tête malade que tout ça c’était sûrement pour le sapin en bas..pour décorer et il pensa également qu’il était déjà bien chargé ce sapin et que quelques babioles de plus ou de moins ne le rendrait pas plus beau..N’est ce pas ? Par contre chez ses amis, les enfants pauvres ou il n’y avait rien cela pourrait mettre un peu de joie et de lumière et ils seraient peut être plus heureux, ses amis, pour fêter la naissance de cet enfant dont on parlait tant.
Alors, il prit tout, il en mit dans ses poches, dans sa besace, dans ses chaussettes…il prit tout et il partit le cœur léger faire sa distribution.
Comme il était pudique il ne se montra pas, il posa quelques perles, quelques colliers sur le seuil de chaque maisonnette, il frappa à la porte et il s’enfuit à toutes jambes en riant sous cape…Et ne vous inquiétez pas, il n’oublia personne.
C’est ainsi que ce jour là, les pauvres de cette ville se mirent réellement à croire aux miracles et qu’ils passèrent la plus merveilleuse des Noël dans une opulence et une insouciance qu’ils n’avaient jamais connues. !
Quand Monsieur s’aperçut en revenant de la disparition de ses biens, il entra dans une colère épouvantable, il se répandit en convulsions de désespoir et il fallut en toute hâte lui poser de la glace sur le front et lui faire plusieurs piqûres pour le calmer. Mes bijoux…mes pierres..Mes lingots…balbutiait il entre deux hoquets, la bave aux lèvres…en prison, qu’on le mette en prison et qu’il y reste la vie durant et même après…en prison, l’infâme crétin, la crapule sanglante qui m’assassine !
Alors les gendarmes arrivèrent et Félicien se retrouva en prison..il ne comprit pas très bien pourquoi son oncle faisait tant d’histoires pour quelques objets décoratifs alors qu’il avait déjà une véritable étoile et tant d’autres choses jolies, mais enfin, il fut chagriné de l’avoir visiblement si fort contrarié et il trouva juste d’être puni pour ça.
On l’enferma dans une étroite cellule humide sous bonne garde.
Pendant ce temps là, son oncle ne décolérait pas, bien qu’un peu calmé, et il tournait en rond dans son bureau en cherchant le meilleur moyen de récupérer son bien. C’est alors qu’il entendit comme une rumeur dans la rue, des acclamations, des vivats…il ouvrit la fenêtre et un immense vacarme le frappa au visage…En bas, tous les enfants des quartiers pauvres étaient là qui criaient son nom de toute la force de leur petite voix…Merci, merci Monsieur..Vive Monsieur..Joyeux Noël Monsieur.. !
Cela raviva sa rancune ; ainsi ces petits crétins croyaient que c’est lui qui avait distribué sa fortune.. Comme ça.. ! Mais pour qui le prenaient-ils ? Il descendit, fou de rage, armé d’un grand bâton, bien décidé à le casser sur le dos de ces petits gueux…Mais à peine eut il ouvert la porte qu’une grappe joyeuse de bambins lui sauta au cou..et c’était à celui qui serait le plus tendre, le plus affectueux..Toutes les douceurs du monde lui sautèrent au visage !
Il essaya bien de réagir mais il sentit sa hargne se dissoudre, l’attendrissement le gagner…tout a coup, stupéfait, il sentit sur ses joues quelque chose d’humide qui coulait doucement…Mon Dieu..Une larme..Mais je pleure..Est ce possible ?.Oui, c’était possible, Monsieur, le brasseur d’affaires, l’homme devant qui le pays entier tremblait, le grand patron de cette armée d’automates productifs et fonctionnels, monsieur, tout bêtement, pleurait de bonheur, parce que des enfants venaient se blottir sur son cœur en lui offrant ainsi ce qu’il n’avait jamais connu…l’innocence, la pureté, une des plus fondamentales de nos raisons de vivre..
Alors, d’un pas décidé, il se dirigea vers la prison et la horde rieuse des enfants lui emboîta le pas ; arrivé devant le lugubre bâtiment, il s’arma d’une pioche et il commença de le démolir a grands coups rageurs. Les enfants croyant qu’il s’agissait d’un jeu se mirent aussitôt à enlever les pierres et les murs commencèrent de s’effondrer.
Les gardiens alarmés sortirent, mais voyant Monsieur au premier rang des démolisseurs, ils se dirent qu’il y avait sûrement là une raison hautement justifiée et ils mirent aussi la main à la pâte…En très peu de temps il n’y eut plus de prison..Les condamnés embrassèrent Monsieur qui laissa encore couler quelques larmes..Mon Dieu, que c’était bon de pleurer ! Alors tout le monde, Monsieur, les prisonniers, les enfants, les gardiens, tous se dirigèrent vers la mairie qui subit le même sort…rasée ! Personne n’y trouva rien a redire puisque le maire, c’était Monsieur..Il y avait donc là une raison hautement justifiée..
Puis le commissariat y passa, le commissaire et ses agents avaient donné un bon coup de main…on leur avait expliqué que c’était nécessaire et puis..Monsieur savait sûrement ce qu’il faisait ! La sous préfecture, par terre, la perception disparue, la gendarmerie également ! Il ne resta bientôt plus a la place de tous ces édifices qui personnifiaient si bien l’ordre établi qu’un tas énorme de pierres et de moellons tout bête et inutile.
Alors, Monsieur et ses nouveaux amis se mirent a construire une immense maison et il y avait tant de pierres qu’elle fut vraiment très, très, très grande..On y accrocha partout des guirlandes, des fleurs et ce fut la maison de tous ceux qui voulaient s’aimer..Ils furent des milliers à y vivre tous ensemble et Monsieur, durant tout le temps qui lui resta à vivre pleura tous les jours avec ravissement..Il pleura tout le temps, chaque fois qu’il croisait un visage et que celui-ci lui souriait, chaque fois qu’un enfant naissait, chaque fois que les petits bras d’un bambin se nouaient autour de son cou…on mit un écriteau sur la porte ‘’ ici, maison du monde ‘’..Interdit aux gendarmes, aux huissiers, aux percepteurs, aux députés ou élus en tous genre…sauf s’ils consentent a démolir leur maison pour agrandir celle-ci.
Et les gendarmes, les percepteurs, les huissiers, les députés ou élus en tous genre…tous cassèrent leur maison et la maison du monde ne cessa de grandir..Jusqu’au jour où il n’y eut plus qu’une seule maison sur toute la surface de la terre, celle de tous les hommes.
Et tout ça parce qu’un jour de Noël, un enfant avait embrassé un vieillard et l’avait fait pleurer de bonheur..
A quoi tient le destin des peuples !
Jacques Raynal
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VIET
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Voilà un joli conte de Noël qui nous change des visions pessimistes dont les media nous abreuvent
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Michel Santo
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Et merci à l’ami Raynal de nous l’avoir donné à lire…
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