Flaubert, for ever…
Ce texte de Jacques Raynal, qui en publiera d’autres dans ce blog.
Finalement, tout nous ramène a Flaubert, il est un peu la plaque tournante de toute la littérature Française (la plus récente tout au moins), un passage obligé entre le romantisme finissant et le réalisme commençant, il tire un trait sur la littérature d’introspection et annonce toute la littérature moderne (dans ce qu’elle a de meilleur et de pire).
Et puis, puisque nous en étions aux mots, quel amoureux justement des mots ! Quel lutteur aussi pour leur faire rendre gorge, en tirer la substantifique moelle…
Après tant d’autres et inévitablement, il connaitra, lui aussi, les affres de l’impuissance, cette limitation aux portes du sublime, toujours entr’aperçu, toujours insaisissable, cette porte un instant entrebâillée sur l’indicible nous laissant a jamais avec la nostalgie de cet éphémère et fugace éblouissement, les paupières brulées par les lumières interdites…
« La parole humaine est comme un chaudron fêlé ou nous battons des mélodies a faire danser les ours quand on voudrait attendrir les étoiles »
Et puis encore…
« Je ne suis qu’un lézard littéraire qui se chauffe, dans sa bibliothèque au grand soleil de la beauté »
Flaubert…L’ermite de Croisset, ce misanthrope de génie, ce bougon splendide, cet Alceste mal embouché que nous aimons tant qui eut sans doute souscrit au mot de Mallarmé…
« Tout n’existe sans doute que pour aboutir a un livre…Dieu a fait la vie, ses douleurs et ses joies pour qu’un écrivain puisse le raconter »
Et pourtant…qui ne le sait ? Rien n’est simple chez un homme…
Le Flaubert qui écrivait :
« Les honneurs déshonorent, les titres dégradent, la fonction abrutit »
Celui dont la dernière ligne de madame Bovary fut (a propos du détestable Homais, Pharisien de sous préfecture, archétype du notable provincial pontifiant et bien pensant)
« Il vient de recevoir la légion d’honneur »
Celui, aussi, qui si longtemps, n’eut pas de mots assez durs pour fustiger son ami Du Camp, lequel rêvait de la fameuse breloque…
Le même, toujours qui exerçait sa verve, sa rogne et sa vindicte envers le monde, les salons, les compromissions…
Acheta un jour un habit a deux mille francs, des gants beurre frais a cinq cent francs (quand les droits de madame Bovary furent de huit cent francs) et se précipita au salon de la princesse Mathilde… (C’est Louise Colet qui le raconte)
Le pourfendeur des honneurs fallacieux accepta ensuite de recevoir, a son tour, la légion d’honneur et en fut même très fier…
Dieu que le socle de nos héros se lézarde souvent quand on y regarde de près !
Mais que celui qui n’a jamais cédé au péché de vanité lui lance le premier lazzi…Quand a moi, je m’en garderai bien !
« Vivre avilit » a écrit Henri de Régnier…Nous essayons, peut être tous, simplement, de sauver les meubles…
Cela dit, certaines choses paraissent étonnantes lorsque on s’y arrête…Et alimentent ma réflexion de ce jour.
On le sait, Flaubert, a travers Bouvard et Pécuchet, voulut embrasser toutes les sciences et les connaissances humaines…Il disait avoir lu, avant d’écrire la première ligne, quatre cent livres (oui, quatre cent…!) traitant de toutes les disciplines dont ses deux pathétiques héros allaient avoir a se préoccuper…Projet mirifique et fou a la mesure de l’homme qu’il était.
Sa mort prématurée à cinquante huit ans l’empêcha de mener son œuvre au bout.
Mais…Question…Y serait il parvenu…?
Un siècle plus tard, Sartre lui tente de faire le tour de Flaubert avec son « Idiot de la famille », il y passe sept ans, écrit des milliers de pages et la cécité l’empêche de finir son travail…
Mais…Question…Y serait il parvenu…?
Au bout de ce labeur titanesque, il dira avoir a peine, lui semblait il, effleuré le personnage.
Fait-on jamais le tour des connaissances humaines ? Plus simplement peut-on faire seulement le tour d’un homme ? Et plus humblement encore arrive t’on a faire seulement le tour de soi même dans ce court laps de temps qu’est toute vie humaine, ce grand éclair entre nos deux néants ?
Il est vrai que certains ont pu penser qu’après avoir fait trois petits tours dans une pièce close, ils peuvent désormais disposer…Rimbaldiens au (très) petit pied de « la vérité dans une âme et dans un corps »
Contentons nous d’en sourire.
Finalement faire le tour d’un homme ou celui de l’humanité revient sans doute au même, et cette démarche de quelque façon qu’on l’entreprenne parait hélas toujours vouée à l’échec…non…?
Me revient à l’esprit la formule de Térence…
« Je suis homme et rien de ce qui est humain ne peut m’être étranger »
Etranger ? Certes, non…Mais saisissable…? Notre réalité profonde, comme le sable, nous glisse entre les doigts.
Montaigne était sans doute dans le vrai lorsqu’il disait que toute étude sérieuse du monde commence par soi même et, quand, aux antipodes de tout égotisme stendhalien, il portait sur lui-même le regard acéré et sans complaisance de l’entomologiste…Macrocosme et microcosme… « Tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas » (ça, c’est un autre qui nous l’a dit)
Mais au bout du compte, et ce sera ma conclusion, quand on a découvert que le monde existe et aussi que l’on existe dans ce monde, qu’on en est un composant a la fois dérisoire et essentiel…On n’a plus besoin de miracles…On est dedans !
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