La gauche a-t-elle abandonné la France périurbaine? Une note de Terra Nova.

Unknown-2Après le géographe Christophe Guilluy, la Fondation Terra Nova publie à son tour une note sur cette France «périphérique» qui attire, souvent malgré elle, les catégories populaires. Entretien dans le Figaro (abonnés)

Au croisement de la politique, de l’économie, de la géographie et de la sociologie, la France périurbaine est devenu un sujet d’étude. Après avoir soulevé cette question au grand public avec Fractures françaises (2010), le géographe Christophe Guilluy a relancé le débat en publiant La France périphériqueComment on a sacrifié les classes populaires. Dans cette controverse, la gauche fait figure d’accusée. Notamment en raison d’une note d’analyse électorale publiée en 2012 par la Fondation Terra Nova, un think-tank proche du PS. Le Figaro donne aujourd’hui la parole à la défense. Terra Nova publie à son tour une note sur le sujet, rédigée par Pierre Musseau (lire l’intégralité de la note sur www.tnova.fr ). Directeur général de Terra Nova, Thierry Pech s’explique. Et reconnaît que ce fut «une erreur» de considérer que l’électorat populaire fut un électorat perdu pour la gauche

Le Figaro. –  La Fondation Terra Nova publie une note intitulée «La France périurbaine». Est-ce une réponse de gauche à «La France périphérique» du géographe Christophe Guilluy?

Thierry Pech. – Ce n’est pas une réponse. Publiée aujourd’hui, la note de Terra Nova a été rédigée par Pierre Musseau avant la parution du livre de Christophe Guilluy. Mais c’est vrai, il y a un débat sur le regard qu’il faut porter sur cette France périurbaine trop souvent et injustement caricaturée. Que ce débat existe est une bonne chose. Mais nos analyses divergent.

Christophe Guilluy essaie de donner un visage géographique à la question sociale. Pourquoi pas? Mais les mailles de son filet sont trop larges. Dire que 61 % des Français vivent dans des territoires de grande fragilité sociale est excessif et ne prend pas assez en compte la diversité de ces territoires. Nos travaux montrent plutôt que 20 à 25 % de la population vit dans cette France en grande difficulté. C’est déjà beaucoup.

Partagez-vous son constat d’une France périphérique reléguée et ignorée des pouvoirs publics?

Nous ne partageons pas l’opposition de principe qu’il établit entre deux France qui se tourneraient le dos. Il fait l’impasse sur les relations qui existent entre les différents territoires. C’est un fait que l’économie française est plus que jamais tirée par les métropoles. L’Île-de-France, c’est presque un tiers de toute la richesse produite dans le pays. Mais une part importante de cette richesse est redéployée sur le reste du territoire via diverses formes de redistribution. La France périphérique en profite également largement.

Oui il y a des difficultés, oui la mobilité est parfois subie par ceux qui quittent les centres-villes pour s’installer dans ces grandes périphéries. Mais c’est souffler inutilement sur les braises que de faire le procès de la mobilité en général et d’accréditer le rêve d’une sédentarité heureuse et auto-suffisante.

Vous ne pouvez pas nier que l’éloignement contraint crée un sentiment d’exclusion.

Ce que je conteste, c’est que l’on construise une géographie du ressentiment à partir d’un phénomène qui a d’abord une explication socio-économique. D’où vient le problème? D’abord des prix du logement, qui sont eux-mêmes liés au prix exorbitant du foncier en centre-ville et même dans l’immédiate périphérie des villes. Il y a là une responsabilité des maires de ces zones qui se refusent à bâtir pour ne pas fâcher leurs électeurs. Cette faiblesse de l’offre, couplée avec des politiques de solvabilisation de la demande (via des prêts à taux très faibles, par exemple), explique le niveau élevé des prix. Des classes populaires, même bien intégrées au marché de l’emploi, doivent donc partir s’installer en deuxième ou en troisième couronne pour trouver un peu d’espace. Et se retrouvent ainsi prisonnières d’une facture énergétique et de transports très lourde.

D’où justement ce sentiment d’abandon puisque tous les investissements publics se retrouvent concentrés dans les quartiers difficiles des centres urbains.

Mais c’est dire cela qui est à la fois faux et source de ressentiment. Bien sûr que les politiques de la ville s’intéressent aux quartiers sensibles des grandes agglomérations. Et heureusement car ils en ont besoin. Mais en faire des quartiers privilégiés sous prétexte qu’ils sont aidés n’a pas de sens. La preuve: ceux qui y vivent les quittent la plupart du temps dès qu’ils en ont la possibilité.

Il faut évidemment évaluer ces politiques de la ville. Et reconnaissons que ce ne fut pas toujours le cas. Mais il faut le faire pour toutes les politiques publiques. Se demander par exemple qui profite le plus de l’argent que l’État investit dans l’éducation ou dans la culture. Ce ne sont certainement pas les habitants des quartiers sensibles!

Le départ des classes populaires dans le périurbain n’est-il pas aussi, comme le montre Guilluy, la conséquence d’une concentration de la population immigrée dans les quartiers sensibles?

L’exode vers le périurbain a-t-il des raisons ethniques ou culturelles? Personne ne peut le dire. Les raisons économiques sont bien documentées. On sait bien aussi que la fuite des quartiers sensibles s’explique par le refus d’inscrire ses enfants dans des établissements scolaires trop souvent synonymes d’échec. Mais ethniciser ces mécanismes est un saut idéologique que rien ne justifie. D’autant que les flux migratoires sont aujourd’hui faibles et que le métissage est en train de s’opérer avec ceux qui appartiennent à la deuxième ou la troisième génération d’immigrés.

Comment expliquez-vous la percée du Front national dans la France périurbaine si cette mobilité n’est pas vécue comme une relégation obligée?

C’est un fait que les zones périurbaines constituent un nouveau foyer de développement électoral pour le Front national. Mais, là encore, nuançons. Si la «France périphérique» telle que la définit Guilluy votait FNMarine Le Pen serait majoritaire en France!

Terra Nova avait publié en 2012 une note de stratégie électorale invitant la gauche à prendre acte de son divorce avec les ouvriers et les employés et à se tourner vers les jeunes, les femmes, les minorités visibles. N’est-ce pas l’aveu de l’abandon délibéré des classes populaires par la gauche? Un abandon que la France périurbaine lui fait payer aujourd’hui?

La droite et la gauche peuvent conjointement se reprocher de n’avoir pas su mettre en œuvre des politiques publiques répondant aux préoccupations et aux difficultés des catégories populaires.

Mais j’accepte volontiers le débat sur la note de Terra Nova. Considérer que l’électorat ouvrier intégré dans l’emploi était un électorat perdu et qu’il n’y avait pas lieu de s’adresser à lui était une erreur. La gauche a au contraire pour devoir d’aller le chercher et de répondre à ses interrogations. Je crois juste de dire qu’elle doit s’adresser aux jeunes, aux femmes et aux minorités. Mais justement, il y a des jeunes, des femmes et des représentants des minorités dans cet électorat-là. Nous aurions dû chercher à conjuguer ces deux priorités plutôt que de les opposer.

Je ne crois pas pour autant que l’on puisse accuser la gauche d’avoir «abandonné» délibérément ces populations. Comme la droite, elle a plutôt manqué de lucidité en raison d’une analyse défaillante. La vérité est que la réalité sociologique et géographique de la France a considérablement évolué. Une nouvelle radiographie des catégories populaires reste à faire. Et c’est ce que nous allons faire.

Comment la gauche peut-elle alors à nouveau parler à ces catégories populaires qui constituent les gros bataillons de la France périurbaine?

En apportant des solutions concrètes à leurs préoccupations. Lesquelles sont d’abord économiques. Quand on regarde l’évolution des prix des biens et des services rapportés au budget des ménages depuis vingt ans, on constate que presque tout a baissé sauf le logement et la consommation d’énergie. Et cela vaut évidemment en premier lieu pour ces populations de la France périurbaine qui ont des revenus modestes. Il faut notamment travailler sur la facture énergétique des foyers concernés. Cela va de l’isolation des maisons à l’offre de transports.

Il faut aussi favoriser une densification des centres urbains et libérer du foncier à leur proximité, notamment en faisant remonter aux intercommunalités la détermination des plans locaux d’urbanisme (PLU), ce qui permettra de bâtir davantage et de faire baisser les prix. Si on veut casser le mécanisme d’exclusion généré par la para-urbanisation, il faut que ceux qui vivent aujourd’hui loin des grands centres de production aient la possibilité de s’en rapprocher, d’y accéder plus facilement et de prendre toute leur part à cette grande histoire collective. La mobilité n’est pas le problème: c’est la solution!

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