La vie ordinaire de Lucien, cheminot, qui prenait le TGV du dimanche pour aller manger une choucroute à la gare de Lyon…

   

La première fois que je l’ai rencontré, il y a bien longtemps, je devais avoir une vingtaine d’années, c’était en compagnie de Simone, et c’était à Épinay sur Seine – ville dans laquelle, alors, nous habitions. Je me souviens aussi très précisément en quelle circonstance. Ce devait être un samedi matin, et il était assis, seul devant un verre de vin, à la terrasse du café-PMU de la Cité d’Orgemont. Cet homme, Simone le connaissait pour l’avoir immédiatement reconnu, quelques jours avant, planté devant le guichet de la perception où elle travaillait ; et interpellé de son nom et prénom : « Lucien Labatut ! » Car ce Lucien était un ancien copain de son frère aîné, comme lui et le reste de ma belle-famille, originaires de Bages. Célibataire, il était, et, ajoutait-il fièrement, agent de la SNCF. « Cheminot quoi ! » Comme de nombreux autres « narbonnais » de cette génération, plus ou moins « pistonnés » par le sénateur de l’époque, prétendait la rumeur locale. Bref ! Lucien vivait seul, sous un ciel toujours gris ; loin de son village de « petits pêcheurs » en forme de promontoire dominant les étangs avec, au loin, le Massif de la Clape et, plus loin encore, la mer et ses lancinantes invitations à larguer les amarres… J’ai revu Lucien, quarante ans plus tard. Il était assis à la terrasse d’un café de Narbonne, toujours aussi seul et toujours devant un même verre de vin. Comme moi, « retiré de la vie active », il vivait dans l’indifférence de tous, mais prenait plaisir à bavarder avec Simone quand nous le croisions tous deux en ville. Ses après midi de la semaine, nous savions qu’il les passait entières dans le hall de la gare, sur un banc à gauche en entrant. Il s’accrochait aux images des voyageurs allant et venant en tous sens pour pour fuir sa profonde solitude. Ce que je pensais, jusqu’à ce jour où il me fit cette extraordinaire confidence, qui sera la fin de ce petit récit. « Tous les dimanches matin, vois-tu Michel, je prends le TGV pour lequel je paye 10€ de supplément, puisque cheminot le train m’est gratuit, et trois heures après, le temps de lire le journal, je suis à Paris et m’en vais au resto manger une bonne choucroute. La sieste, pendant le voyage retour… et le dimanche est passé. Ainsi va la vie ! » Lucien, n’est plus, mais il m’arrive souvent de penser à ses choucroutes parisiennes du dimanche matin. C’était un être, il est vai, irrémédiablement seul, mais il était aussi, ces jours-là en tous cas, à sa manière, un véritable dandy ; de ceux qu’on aime avoir rencontré sur sa route, aux hasards de la vie…

* C’est la lecture d’un des derniers textes merveilleusement illustrés de Daniel Maja publiés sur Facebook qui a réactivé ma mémoire et incité à publier ce petit récit…

 

Rétrolien depuis votre site.

Commentaires (1)

  • Avatar

    claire moynier

    |

    Dans la veine d’un De Maupassant . magnifique !

    Reply

Laisser un commentaire

Articles récents