Le journaliste, un sujet sans pensée!

 

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Cet extrait d’un texte d’André Gorz publié dans le Nouvel Observateur du 9 novembre 2012. Il se passe de commentaires! :

« …. Car c’était ça, le journalisme en France, en cette époque: il fallait donner une apparence d’intériorité, une apparence d’unité personnelle (attestée par la signature et par le style soigné) un récit dont la qualité première devait être l’absence d’auteur. Bien sûr, il y avait des exceptions apparentes: les grands reporters avaient le droit de dire «je» et de décrire ce que prétendument ils avaient vu et pensé, en partant de leurs impressions propres – mais ce privilège était suspendu à la condition qu’ils ne pensent pas trop : qu’ils promènent leur regard comme l’œil d’une caméra, qu’ils soient dehors et non dedans, c’est-à-dire observateurs extérieurs et non pas partie, juge, agent de l’histoire en cours. Leur «jeu» n’était qu’une forme rhétorique: ils étaient sujets dans la stricte mesure ou ils avaient cinq sens (voyaient les couleurs et les mouvements, percevaient les bruits, les paroles, les odeurs) pour rendre les apparences extérieures, mais ils perdaient ce privilège dès qu’il fallait en venir au fond des choses. Et il en allait de même du journalisme dit personnel que Jeannot avait pratiqué avec brio pendant quelque temps: ça consistait à rapporter avec dérision les paroles et les gestes de grands personnages, selon la technique du valet de chambre: vous contestez les propos élevés du personnage par la description de leur cravate, du mouvement de leurs doigts et des ratés de leur parole: encore la caméra.

C’était ça qu’il trouvait pénible: mobiliser toutes les ressources de sa pensée pour produire une pensée dont sa pensée fût absente; forger avec les mots de tout le monde une micro-histoire qui ne devait être son produit que par la réussite technique plus ou moins grande de sa mise en forme. «Je n’existe pas», proclama un jour une pancarte collée avec du scotch sur la porte vitrée d’un bureau. La consigne, inconsciente de son ironie sinistre, résumait bien la condition de journaliste. «Ce que tu penses, on s’en fout, avait dit Phil. C’est pas pour ça qu’on te paie

 

 

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