Les mantecaos au goût plein et riche de ma tante Dolorès ne se font oublier…
C’est dans ces jours du mois de décembre que le souvenir de ma tante Dolorès s’insinue dans le vague de mes pensées et finit par imposer sa lumineuse présence. Je la revois préparer et confectionner ses mantecaos dans cette pièce étroite au plancher branlant qui servait de cuisine et de salle à tout faire : manger, laver les corps et le linge ; de chambre aussi à l’occasion quand s’installait chez elle un cousin venu du village de mon grand-père, Cox. Je la revois, et revois encore ces filets nuageux emplis d’odeurs de farine, de saindoux et de canelle mêlées s’accrocher à ses cheveux et voiler ses yeux d’un bleu toujours mélancolique. Ses mains agiles et d’une délicatesse extraordinaire étaient alors couvertes d’une légère poudre blanche qui dissimulait en partie des ongles et des doigts abîmés à force de pénibles et constant travaux domestiques dans de bourgeoises maisons où elle était épisodiquement employée. Ses mains, je les trouvais cependant belles, et mon insistance à les observer, m’attirait souvent d’affectueux sourires de reproches. À la « bader » ainsi, me disait-elle, ses mantecaos allaient «virer», et ses étoiles et ses soleils n’auraient pas cette friabilité sous les doigts, ni ce fondant qui les faisaient croquer sous la dent… Rien au monde ne pouvait m’éloigner d’elle en ces moments là. Elle était si sûre de son art et si fière des plaisirs qu’elle allait nous donner les jours suivants ; à commencer par le premier dimanche quand les premiers mantecaos était servies à la fin du repas de midi et que Lola attendait, les bras collés sur son tablier qu’elle tenait serré à la taille, les signes et manifestations d’une joie respectueuse et gourmande. Jusqu’à ce qu’elle perde la mémoire et les mots, malgré l’éloignement, chaque année, à la même période, Lola ne manquait pas de m’envoyer, où que je fus, un plein colis de ses merveilleux biscuits de Noël, colis qu’elle enveloppait dans une vieille édition du journal local qu’enserrait une solide cordelette savamment nouée. Sur l’étiquette, mon nom et mon adresse étaient écrits de manière enfantine, tout en rondeurs. Longtemps, très longtemps, j’ai toujours reçu les mantecaos de Lola, et toujours à la même « heure ». Depuis, les rares fois où la curiosité m’a poussé devant un présentoir qui en exposait, la grande banalité de leurs formes et leur maigre saveur, m’ont à jamais dissuadé d’en retrouver un jour qui puissent rivaliser avec ceux qui, en rêve, prennent chaque année, comme aujourd’hui dimanche, possession de mon esprit. Dans la rue Rabelais, au 32, il m’arrive parfois d’entrevoir, au travers de la fenêtre du troisième étage de cet immeuble désormais condamné à la démolition, souvent squatté, où demeurent encore d’aimables fantômes, celle qui avait, plus que toute autre, le culte de la famille et de la générosité ; une générosité au goût plein et riche de mantecaos…
Rétrolien depuis votre site.
Jacques Molénat
| #
Touchante évocation d’une belle personne et d’un temps révolu. J’ai bien aimé.
Reply
Martinez
| #
Merci Michel pour cette évocation du passé, de notre passé devrai-Je dire. Je me souviens de ces périodes festives quand ma mère mettait la main à la pâte pour nous régaler . C’était une coutume II comme nos parents avait traversé la frontière. Dolores , Je l’ai peut-être connue, nous habitions au N 20 de la Rue Rabelais dans les années 46/56. Joyeuses fêtes du nouvel An et meilleurs vœux amigo.
Reply