L’espérance mène plus loin que la crainte .
Excellente chronique de Brice Couturier, ce matin , sur France Culture. Que je reproduis in-extenso.
« Les promoteurs de l’heuristique de la peur n’aiment pas qu’on leur rappelle qu’ils sont réactionnaires », écrivez-vous, Gérald Bronner. Faut-il que notre société soit vieille pour que le progrès en tant que tel soit devenu, pour nos contemporains, un épouvantail !
Sans doute, nos positivistes du XIX° siècle avaient-ils poussé un cran trop loin l’optimisme, en promettant un monde débarrassé du besoin et de la peur, une nature entièrement comprise, mise en lois et régulée pour le plus grand bonheur de l’humanité. Mais leur naïveté avait au moins pour mérite de pousser nos savants et nos inventeurs à l’audace. On ne demandait pas aux découvreurs de la vaccination ou de l’aéronautique de mettre en œuvre le principe de précaution. Sinon, nous ne vivrions pas trois fois plus longtemps qu’eux et nous ne voyagerions pas en avion…
Or, la voie dans laquelle nous sommes engagés depuis une quarantaine d’années vous paraît caractérisée par une méfiance exagérée envers l’activité humaine. Dans un ouvrage précédent, vous nous avez dit tout le mal que vous pensiez du « principe de précaution », dévoyé en « précautionnisme ». En surévaluant constamment les risques, au nom d’un « principe de responsabilité », il a pour conséquence de nous paralyser.
Si nous n’osons plus rien, dites-vous, c’est parce que nous nous haïssons nous-mêmes. Une sorte de « masochisme moralisateur » s’est répandu – pour emprunter cette expression à Octavio Paz. L’homme occidental met son orgueil à battre sa coulpe. Nous avons la contrition orgueilleuse. En tant qu’hommes, nous nous déclarons coupables par essence. Coupables d’avoir dérangé le cours naturel des choses, d’avoir compromis le fragile équilibre de la nature. Cette « anthropophobie » – selon votre expression – incline l’idéologie contemporaine à nier toute supériorité à l’homme en tant qu’espèce animale, voire à le tenir pour une espèce perverse et néfaste. Elle est donc anti-humaniste. Elle imprègne la culture de masse, obsédée de nous prédire l’apocalypse pour prix de nos péchés contre la nature.
Mais elle incline aussi, dites-vous à sacrifier la démocratie elle-même à son culte mortifère : de même que la conscience des prolétaires, selon Lénine, inclinait spontanément à la social-démocratie et au réformisme et devait donc être réformée par les révolutionnaires professionnels, de même les masses, qui n’ont pas un intérêt clair de l’intérêt des générations futures, devraient être guidées par les militants environnementalistes…
Luc Ferry publie ces jours-ci un essai intitulé L’innovation destructrice, qui s’attaque aux mêmes adversaires que vous : les partisans de la décroissance, les ennemis de l’innovation et du progrès. Mais il y a un philosophe qui vous avait précédés l’un et l’autre ; c’est Dominique Lecourt. Il y a dix ans déjà, il dénonçait déjà « le journalisme d’épouvante » qui cherche à terroriser le lecteur en lui racontant la fin du monde. Il dénonçait ce « fatalisme du pire », qui a remplacé l’esprit, raisonnablement optimiste, des Lumières. Il en voyait l’origine dans « une idéologie antirationaliste rampante ». Et il écrivait « le pouvoir de connaître, réputé, depuis Epicure, nous délivrer de toutes les peurs, se retourne contre lui-même et, ennemi intime, suscite l’épouvante ». (L’Âge de la peur, p. 65) Et, avant lui, Ernst Jünger écrivait : « l’espérance mène plus loin que la crainte. »
Pourtant l’expérience du passé récent, celle du XX° siècle, en particulier, ne devrait-elle pas nous inciter davantage à la prudence qu’à l’audace, comme Jünger devait le comprendre dans la 2° partie de sa vie ?
Mots-clefs : Brice Couturier, Dominique Lecourt, Épicure, Ernst Jünger, Gérald Bronner, Luc Ferry, Positivisme, Progrès
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