Moments de vie chez mon gastro-entérologue.

 
 
 
 
 
 
 
 
Je.27.10.2022
 
Moments de vie chez mon gastro-entérologue.
 
Chez mon gastro-entérologue, les consultations se déroulent toujours selon le même protocole. Après les salutations d’usage, très courtoises et très décontractées, je lui expose d’abord les raisons et les symptômes qui m’ont amené dans son cabinet.
Il m’écoute attentivement, me pose quelques questions, me fait allonger sur son lit de travail, me palpe l’abdomen, me fait une échographie, puis, une fois installé devant son bureau sur lequel il rédige et commente son ordonnance, me donne enfin son diagnostic. Lui faisant face, je l’observe, l’écoute et lui pose à mon tour quelques questions auxquelles il répond toujours avec précision. Commence alors le moment le plus intéressant de l’entretien : une vingtaine de minutes passées à discuter de littérature, des mœurs de notre époque, de philosophie. Cet homme généreux de son temps est plus jeune que moi : 60, 65 ans ! Dans la conversation, je lui fais part de mon impression de ne pas habiter le même monde que celui des nouvelles générations. Leurs centres d’intérêt, leur vocabulaire, leurs musiques, leur culture et leur rapport au passé et à la politique, sont très éloignés des miens. Parfois même opaques. Il me répond faire le même constat, et me raconte ses réunions avec de jeunes collègues médecins. Très exigeant envers les autres et jamais envers eux-mêmes, me dit-il, ils privilégient désormais, pour nombre d’entre eux, le salariat. Paradoxalement, ils sont aussi très libéraux sur les questions de genre, de PMA, GPA et fin de vie, notamment. Nous convenons cependant que nos doutes, nos inquiétudes, nos peurs, et nos critiques parfois sévères envers le « monde qui va », furent celles de nos parents et des générations antérieures à la leur. Comme eux, nous vieillissons à notre tour. Le plus difficile étant de réaliser et d’admettre que l’on quitte une époque, une façon de vivre et de penser pour une autre. Nous avons tous deux des amis qui ne sortent pas de la leur, qui est aussi la nôtre. Ils s’y barricadent et ressassent les bonheurs fantasmés de leurs jeunesses, de leurs années de maturité. Ils ronchonnent, pestent et refusent toute évolution. La vie les abandonne. Comment vivre, en effet, sans être bousculé dans ses certitudes, ses opinions, ses mœurs, et cela sans complaisance pour autant envers le culte de la « jeunesse » et de la « nouveauté ». Garder le contact, ne pas rompre cet implacable enchaînement des générations tout en mobilisant l’ensemble de nos ressources critiques et morales, finalement, aurait pu figurer au bas de l’ordonnance de mon gastro-entérologue. Il est devenu, depuis le temps que nous nous rencontrons, un ami. Il ne le sait pas ! Je lui en ferai, peut- être, l’aveu. Un jour…
     

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