On ne voyage vraiment que dans des pays imaginaires.
Ma.27.2.2024
Les Halles* sont à deux pas de chez moi. J’y vais tous les matins pour acheter ma baguette de pain : une « aveyronnaise » le plus souvent. Les jours ouvrés, comme aujourd’hui, elles vivent au ralenti. Les commerçants sont bien derrière leurs étals, mais les clients, les flâneurs et les touristes sont ailleurs ; chez eux ou devant leurs postes de travail. Certes, j’y croise des personnes faisant leurs achats. À la retraite, pour la plupart. Comme moi. Et peu nombreuses. On y voit surtout des hommes accoudés au zinc des bars-tapas-restaurants. Des habitués. C’est au « Central Bar » que je l’ai trouvé. J’ai reconnu sa longue chevelure argentée, épaisse et frisée. Vicente ! Des mois que je ne l’avais pas rencontré, ici. Et pour cause. Depuis qu’il a liquidé son entreprise de maçonnerie, il vit en Espagne, tout près du village de nos parents et grands-parents, Cox. Là, il y a retrouvé sa sœur, qui faisait le commerce de fleurs, et sa nièce Sonia. Je me souviens d’elles. C’était il y a longtemps. J’avais été invité par Carmelo Rives Fulleda le maire de Cox de l’époque. Et Jean-Paul Chaluleau, de l’Indépendant, et Marie-Line Étero, de la mairie de Narbonne, m’avaient accompagné. La raison de cela ? Dans le passé, de nombreuses familles de ce village venaient vendanger dans le Narbonnais et nombre d’entre elles s’y sont, au fil des ans, définitivement installées. Que ces liens soient enfin reconnus était mon idée. Malheureusement, un changement de majorité à Narbonne devait stopper net cette initiative. Au profit d’une froide et académique Tolède wisigothique. J’écoutais donc Vicente, disais-je. Il me vantait sa maison, sa piscine, tandis qu’une foule de souvenirs couvraient ses paroles. Quel accueil nous fut fait alors, songeai-je ! Ces gens qui, dans les rues, joyeux, nous accostaient ! La prévenance, la générosité et l’élégance de nos hôtes ! La famille en partie retrouvée… Un flux d’images interrompu lorsque j’entendis mon ami dire que le « pays n’était plus comme avant » ; que ses voisins étaient Belges et Anglais, qu’ils parlaient mieux que lui l’espagnol. Et que la côte était peuplée de Roumains, de Bulgares, de Russes… Un jour lointain déjà, Gonzalo Berná Pic, l’aimable directeur de « La Armónica » de Cox », m’avait écrit que j’étais chez moi, chez lui. Un « chez lui » qui a bien changé, si j’en crois Vicente. Mais le « château de Cox » et la statue de Miguel Hernandez, eux, cependant, restent, pensais-je. Du château, j’ai gardé la grande photo que mon grand-père avait accrochée dans sa cuisine ; et de Miguel Hernandez, je lis ses poèmes. Restent aussi des paysages, rudes, secs ; et tous ces visages amis. On ne voyage vraiment que dans des pays imaginaires.
Illustrations : Cox : son château et la statue de Miguel Hernandez
Mots-clefs : Armonica de Cox, Carmelo Rives Fulleda, Chaluleau, Cox, Étero, Gonzalo Berná Pic, Michel Moynier, Miguel Hernandez
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