Cette tour de Saint Paul-Serge qui fend le ciel et dérègle le temps…
9 heures !
La très large baie de mon bureau est en partie ouverte sur un ciel bas et gris. Une pluie fine couvre les toits du quartier de Bourg d’un léger voile brillant, des taches sombres tapissent les façades ocre des immeubles voisins. À l’extrémité des toitures, des pigeons, la tête rentrée dans leurs plumes, semblent dormir. Ils fuseront ensemble dans un instant vers les pelouses en contrebas. Qu’ils piqueront en bon ordre, méthodiquement. La rue de la Parerie est silencieuse. De rares piétons l’animent. On reconnait les plus jeunes : ils portent des « chaussures de sport » blanches, se tiennent plus droits, marchent plus vite. Des éclats de voix montent jusque dans ma pièce. Je reconnais celle du marchand de fruits et légumes qui, tous les mardis, s’installe devant mon petit immeuble, sur la « Place au Blé ». Pour le voir et l’entendre discuter avec ses clients, il me faudrait descendre dans le salon. Il est jeune et sans imagination. Son étal est banal en toutes saisons. Dans ce ciel d’étain, le vol ample et lent d’un goéland solitaire en chasse, il cherche une proie. Souvent le cadavre d’un pigeon qu’il déchirera pour fourrer son bec dans ses entrailles. Tout près, qui s’élève au milieu des toits, la tour carrée de la basilique Saint Paul et son campanile en fer forgé. Nous vivions et jouions autour d’elle. Elle fend le ciel et dérègle le temps. Tous les matins, je laisse ainsi s’attarder mon regard sur ses pierres blondes. Surgissent alors des images, des visages et des sons d’autrefois