Rabelais: « Reste-t-il ici une seule âme moutonnière ? »
Soudain, je ne sais comment cela se produisit, je n’eus pas le loisir de le considérer, Panurge, sans dire autre chose, jette en pleine mer son mouton criant et bêlant. Tous les autres moutons criant et bêlant sur le même ton commencèrent à se jeter et à sauter dans la mer tous à la file. Le premier à sauter derrière son compagnon était dans la foule. Il n’était pas possible de les en empêcher. Vous savez en effet que c’est le naturel du mouton, de toujours suivre le premier, où qu’il aille. De plus Aristote dit au livre IX de l’Histoire des Animaux que c’est le plus sot et le plus inepte animal du monde. Le marchand, tout effrayé de voir devant ses yeux périr et se noyer ses moutons, s’efforçait de les en empêcher et de les retenir de toutes ses forces. Mais c’était en vain. Ils sautaient tous à la suite dans la mer, et y périssaient. Finalement il en prit un grand et fort par la toison sur le pont du bateau, s’imaginant ainsi le retenir, et sauver le reste en conséquence. Le mouton fut si puissant qu’il emporta en mer avec lui le marchand, qui fut noyé, de même que les moutons de Polyphème, le cyclope borgne, avaient jadis emporté hors de la caverne Ulysse et ses compagnons. Les autres bergers et marchands de moutons qui les tenaient les uns par les cornes, les autres par les pattes, les derniers par la toison connurent le même sort ! Panurge, à côté de la cuisine tenait un aviron en main, non pour aider les marchands de moutons, mais pour les empêcher de grimper sur le bateau, et d’échapper ainsi au naufrage, et il leur faisait un sermon très éloquent. […] Une fois le bateau vidé du marchand et des moutons, Panurge demanda : « Reste-t-il ici une seule âme moutonnière ? Où sont ceux de Thibault l’Agnelet ? […] Que t’en semble, frère Jean ? — Tout est bien pour vous, mais vous auriez dû garder le paiement. L’argent serait resté dans votre bourse. — J’en ai eu pour mon argent, répondit Panurge. »
Mots-clefs : Panurge, Polyphène, Rabelais, Ulysse
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Elle
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Quelle drôle de réminiscence ! Souvenirs souvenirs, classe de seconde. Panurge saurait aujourd’hui que le monde est plein d’âmes moutonnières, en plus de celles de ceux qui sont clonées !!! En revanche je n’ai pas compris le sens de la photo : épicerie pour Pantagruel ou hasard de disposition ?
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Michel Santo
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Ben oui. Je passais juste devant. L’oxymore m’a sauté, si je puis dire, aux yeux :épicerie fine, repas gargantuesques. D’autant que la finesse de l’épicerie en question est vraiment très osée . Et puis, la panurgie n’a jamais été aussi bien portante, non ?
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