Scène de la vie ordinaire : « Je cherche mes oreilles ! »

   

C’est, plongé dans le feuillage d’arbustes buissonneux aux pointes joliment bleutées, qu’en cette fin de matinée, cours Mirabeau, je l’ai aperçu : il était en train d’y tailler, au couteau et à l’aveugle, des branches. Je m’en suis approché et, calmement, lui ai demandé ce qu’il faisait ainsi à la place des jardiniers municipaux dont c’est le métier. « J’ai perdu je ne sais quoi et je cherche mes oreilles – Mais, enfin, quoi ? – Je coupe, vous le voyez bien – Ah ! – Et puis ça repousse, non ? Ce petit vieux, toujours vêtu à la triste façon d’un modeste employé de bureau, je le connais bien. En effet, je le vois tous les jours s’en aller vers le Monoprix voisin ; il en revient d’ailleurs très vite, si on peut dire, ayant cette étrange habitude de ne s’y rendre qu’aux heures de fermeture. Ce que je lui fis remarquer, il y a quelques semaines déjà ; tout en lui recommandant de mettre enfin sa montre et son réveil à l’heure d’été. J’eus droit alors, en guise de réponse, à un de ces sourires figés où la douceur apparente cache en réalité une profonde détresse. Comme encore ce matin quand il m’a quitté pour, à petits pas lents, son sac en plastique à la main bourré des feuilles et branches qu’il avait sans raison coupées, se diriger vers le container à ordures ménagères du coin, en soulever difficilement le couvercle, et l’y jeter. Resté sur place, derrière moi, tout près, une jeune femme montée sur un escabeau, continuait son affaire : elle lavait la vitrine d’un magasin de vêtements pour hommes. Ce faisant, un casque sur ses oreilles, elle y traçait, béate, des figures de mousse aux formes sans doute dérivées du tempo enragé d’un rappeur…

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