Scènes de la vie narbonnaise et d’ailleurs : un spectacle qui réveille toujours en moi un profond sentiment d’hostilité envers mes semblables…

   

       

Il est 10 heures 30, ce matin. À travers la grande baie de mon bureau surplombant les toits, la place et les rues qui font ma géographie quotidienne, j’observe, par intermittence, plus ou moins distraitement, et après que j’eus tapé quelques mots sur mon écran d’ordinateur, la circulation de passants, pour la plupart d’entre eux anonymes et plus ou moins pressés, ainsi que les déplacements et gestes d’ouvriers oeuvrant sur le grand chantier de rénovation urbaine ouvert au bas de mon immeuble du centre ville. En ce moment, deux hommes s’affairent, karchers à la main, sur les trottoirs et allées réalisés hier matin, afin d’en retirer la couche d’un produit bleu acide qui, durant toute la nuit et une grande partie de cette matinée devait en accélérer le durcissement. Ils s’efforcent aussi, dans cette atmosphère bruyante, saturée d’eau et de poussières, de gommer les nombreuses empreintes de pas et de roues laissées là en tous sens par des individus au caractère – à la pathologie ! – de destructeur confirmé. Maniaques dont on devine aisément, à voir leurs traces de piétinements convulsifs, la joie mauvaise et la froide colère qui s’étaient emparés d’eux, au moment de leurs navrantes déprédations. Car il faut le préciser ici, la fraicheur de ces travaux et le balisage de cette zone, étaient parfaitement signalés. Mais qu’attendre, hélas ! dans cette circonstance – et de tant d’autres – sinon cette profonde et violente bêtise dont notre espèce est la seule capable. Comme celle de cette jeune femme dont j’apercois la mince silouhette et devine les vêtements de prix, en cet instant où j’écris ces lignes, gesticulant devant la barrière de nylon qui l’empêche d’aller droit au milieu du chantier en plein rendement. Elle ne veut rien entendre, discute, tempête ; et finit par rebrousser chemin en attaquant le sol de ses pieds rageurs. Ce spectacle, sous des formes les plus diverses, je l’ai vu maintes fois ; il réveille toujours, je l’avoue, cette part de moi que j’imagine commune à chacun de nous : un profond sentiment d’hostilité envers mes semblables. Cioran, toute sa vie, avec, comme tous les grands pessimistes, un humour d’un éclat sans pareil, n’a cessé d’en figurer les multiples variations : « Dès qu’on sort dans la rue, à la vue des gens, extermination est le premier mot qui vient à l’esprit ». Aussi, dans des moments de lassitude, le lire m’est d’un grand secours : il m’apaise !

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