Articles marqués avec ‘Kundera’
Le vertige, c’est autre chose que la peur de tomber…
La lecture de certains textes, et commentaires, sur Facebook, sur ma page et celles de certains de mes amis, a provoqué chez moi un sentiment que je ne saurais mieux exprimer que par la reproduction de cette citation de Milan Kundera:
L’esprit de notre temps, si contraire à l’esprit et à la sagesse du roman…
Deux lectures en rapport avec notre actualité:
L’homme souhaite un monde où le bien et le mal soient nettement discernables car est en lui le désir, inné et indomptable, de juger avant de comprendre. Sur ce désir sont fondées les religions et les idéologies. Elles ne peuvent se concilier avec le roman que si elles traduisent son langage de relativité et d’ambiguïté dans leur discours apodictique et dogmatique. Elles exigent que quelqu’un ait raison ; ou Anna Karénine est victime d’un despote borné, ou Karénine est victime d’une femme immorale ; ou bien K., innocent, est écrasé par le tribunal injuste, ou bien derrière le tribunal se cache la justice divine et K. est coupable. Dans ce « ou bien-ou bien » est contenue l’incapacité de supporter la relativité essentielle des choses humaines, l’incapacité de regarder en face l’absence du Juge suprême. À cause de cette incapacité, la sagesse du roman (la sagesse de l’incertitude) est difficile à accepter et à comprendre.
Extrait de: Milan Kundera. « L’art du roman. » Mon livre numérique. Epub page 12 et 13
Et ceci encore page 25 et 26
Le roman (comme toute la culture) se trouve de plus en plus dans les mains des médias ; ceux-ci, étant agents de l’unification de l’histoire planétaire, amplifient et canalisent le processus de réduction ; ils distribuent dans le monde entier les mêmes simplifications et clichés susceptibles d’être acceptés par le plus grand nombre, par tous, par l’humanité entière. Et il importe peu que dans leurs différents organes les différents intérêts politiques se manifestent. Derrière cette différence de surface règne un esprit commun. Il suffit de feuilleter les hebdomadaires politiques américains ou européens, ceux de la gauche comme ceux de la droite, du Time au Spiegel ; ils possèdent tous la même vision de la vie qui se reflète dans le même ordre selon lequel leur sommaire est composé, dans les mêmes rubriques, les mêmes formes journalistiques, dans le même vocabulaire et le même style, dans les mêmes goûts artistiques et dans la même hiérarchie de ce qu’ils trouvent important et de ce qu’ils trouvent insignifiant. Cet esprit commun des mass média dissimulé derrière leur diversité politique, c’est l’esprit de notre temps. Cet esprit me semble contraire à l’esprit du roman. »
Milan Kundera célèbre la Fête de l’insignifiance
Milan Kundera nous offre une sotie qui brocarde le mal du siècle: l’esprit de sérieux. À lire de toute urgence: http://t.co/tqO7I9yl1S
« La Fête de l’insignifiance est, d’abord, un éloge de la bonne humeur. Plane sur ce texte, impeccablement construit, le sourire de l’écrivain. On imagine Milan Kundera écrivant – vertige. L’élégance de sa prose, la force de ses personnages, l’absence de tout message et la présence d’un sens. Une légende, déjà, plane au-dessus de ce livre. Dans La Lenteur, Vera, la femme de l’auteur, dit à son mari : « Tu m’as souvent dit vouloir écrire un jour un roman où aucun mot ne serait sérieux… je te préviens : fais attention : tes ennemis t’attendent. »
La quête de la bonne humeur et de l’insignifiance
Aujourd’hui, Milan Kundera nous offre, en guise d’épilogue, une sottie qui brocarde le mal du siècle : l’esprit de sérieux. Car c’est bien cela dont nous souffrons. Les tyrans et les peuples ont ceci en commun : ils ne savent plus ce qu’est une blague, ont perdu la bonne humeur, ignorent que l’insignifiance est plus créative que tout ce qui brille.
Ainsi les personnages de Kundera se promènent-ils dans l’Histoire et la géographie. L’Histoire, d’abord, avec cette étrange partie de chasse racontée par Staline, au cours de laquelle il tua 24 perdrix, puis les pissotières du Kremlin et la prostate du fidèle Kalinine. La géographie, ensuite, avec ces déambulations dans les allées du jardin du Luxembourg, au carrefour des mille décisions qui forgent une vie. Milan Kundera invente une nouvelle tribu, celle des « excusards », ces hommes et ces femmes qui s’excusent pour tout et pour rien, même d’être nés sans avoir été désirés.
Que dire d’une époque qui fait du nombril – plus que des fesses ou des seins – le symbole de la séduction féminine? Retrouvons cette fameuse bonne humeur à la recherche de laquelle Milan Kundera nous propose de partir. L’insignifiance, telle que la décrit cet admirable roman, est peut-être la sagesse dont a tant besoin une époque qui a désappris le rire et cultive l’oubli. Viva Kundera! »
La Fête de l’insignifiance, par Milan Kundera. Gallimard, 144p., 15,90€.
Le livre de sable.
On ouvre un carnet, et on tombe sur ces quelques phrases notées au fil de lectures…
Kundera: « Nous traversons le présent les yeux bandés. Tout au plus pouvons-nous pressentir et deviner ce que nous sommes en train de vivre. Plus tard seulement, quand est dénoué le bandeau et que nous examinons le passé, nous nous rendons compte de ce que nous avons vécu et nous en comprenons le sens. » (Risibles amours, trad. François Kérel, p.13, Folio n°1702)
« Par une certaine partie de nous-mêmes, nous vivons tous au-delà du temps. Peut-être ne prenons-nous conscience de notre âge qu’en certains moments exceptionnels, étant la plupart du temps des sans-âges. » (L’immortalité, trad. Eva Bloch, p.14, Folio n°2447)
« Si l’on était responsable que des choses dont on a conscience, les imbéciles seraient d’avance absous de toute faute. […] l’homme est tenu de savoir. L’homme est responsable de son ignorance. L’ignorance est une faute. » (Risibles amours, trad. François Kérel, p.127, Folio n°1702)
Borges: « Ce qui importe ce n’est pas de lire mais de relire. » (Le livre de Sable, trad. Françoise-Marie Rosset, p.103, (Éd.Gallimard )