À la Scène Nationale du Grand Narbonne pour « Art » de Yasmina Reza.
Sa 14.12.2024
Mardi 10 au Théâtre + Cinéma – scène nationale Grand Narbonne pour assister à la pièce de Yasmina Reza : Art, avec François Morel, Olivier Saladin et Olivier Broche, dans une mise en scène de François Morel. Formidable interprétation de ces trois là. Qui vaut celle de Vaneck, Luchini et Arditi ** vue il y a trente ans quand je vivais et travaillais à Paris. Un ami (!), qui ne connait rien de Yasmina Reza, m’a demandé ce que je pensais de cette pièce précisément. Je lui ai envoyé ce petit texte.
Art met en présence trois personnages masculins, trois amis, trois amis qui se connaissent depuis longtemps avec des histoires différenciées symboliquement représentées par la présence de trois tableaux, l’expression de trois approches du réel. Avec son tableau figuratif — une vue de Carcassonne — , Marc est à mi-chemin entre l’excentricité de Serge qui cherche à épater ses amis avec son « Antrios » blanc sur lequel de fins liserés transversaux ont été posés, blancs aussi, et le caractère émotif d’Yvan qu’incarne « une croûte », objet qui lui rappelle le souvenir de son père et qui, par conséquent, a une grande valeur affective.
Avec cette comédie, Yasmina Reza raconte l’histoire d’une amitié ébranlée par une toile et nous montre la fragilité des rapports humains marqués par la théâtralité, le mensonge, la démesure et le cynisme. Les trois amis nous sont ainsi présentés à la limite du ridicule malgré l’importance aussi bien de leurs positions sociales que de leur niveau intellectuel. Théâtralité, mensonge et mauvaise foi jusque dans , « la reconstruction de leur relation anéantie par les évènements et les mots », selon Yvan.
Une « période d’essai », comme le dit Serge, qui s’ouvre par une tricherie. La sienne !
« Lorsque nous sommes parvenus, Marc et moi, à l’aide d’un savon suisse à base de fiel de bœuf, prescrit par Paula, à effacer le skieur, j’ai contemplé l’Antrios et je me suis tourné vers Marc :
– Savais-tu que les feutres étaient lavables?
– Non, m’a répondu Marc. Non. Et toi ?
– Moi non plus, ai-je dit, très vite, en mentant.
Sur l’instant, j’ai failli répondre, moi je le savais. Mais pouvais-je entamer notre période d’essai par un aveu aussi décevant ?… »
Et celle de Marc :
« Sous les nuages blancs, la neige tombe.
On ne voit ni les nuages blancs, ni la neige.
Ni la froideur et l’éclat blanc du sol.
Un homme seul, à skis, glisse.
La neige tombe.
Tombe jusqu’à ce que l’homme disparaisse et retrouve son
opacité.
Mon ami Serge, qui est un ami depuis longtemps, a acheté
un tableau.
C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre
vingt.
Elle représente un homme qui traverse un espace et qui dis-
paraît »
Finalement, c’est quoi des vieux amis de 30 ans ? Que reste-t-il d’une si longue amitié ? s’interroge François Morel dans la petite note distribuée, ce soir-là, au public :
« Peut-être juste un certain sens de l’humour, le plaisir de s’engueuler, de se contredire. La jouissance de la mauvaise foi, la joie de la réconciliation… Le bonheur d’être vivant. » Peut-être ! Peut-être, en effet…
Mais qui me dira pourquoi tourne encore dans mon esprit ces mots d’Yvan. Yvan le mou, le lâche aux yeux de ses amis :
« À un moment donné, l’un de nous a employé l’expression « période d’essai » et j’ai fondu en larmes. L’expression « période d’essai » appliquée à notre amitié a provoqué en moi un séisme incontrôlé et absurde. En réalité, je ne supporte plus aucun discours rationnel, tout ce qui a fait le monde, tout ce qui a été beau et grand dans ce monde n’est jamais né d’un discours rationnel. »
Mots-clefs : Art, François Morel, Olivier Saladin et Olivier Broche, Théâtre+Cinéma-scène nationale du Grand Narbonne, Yasmina Reza
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