À propos du livre d’Alexandre Moatti : Un certain M. Fabre – Valéry, Gide, Aragon et les autres…

Le retour d’un certain M. Fabre

À propos du livre d’Alexandre Moatti : Un certain M. Fabre – Valéry, Gide, Aragon et les autres… Éditions HD.

Lucien Fabre.
Un nom qu’on croit inventé. Et pourtant.
Goncourté, publié chez Gallimard, ami de Valéry, en délicatesse avec Einstein, flingué par Gide, haï par Aragon, courtisé par Blum, puis… effacé. Rayé des mémoires. Un de ces météores de la IIIe République qui brillent dans tous les sens avant de se consumer sans bruit.

Alexandre Moatti en fait un livre rare : ni biographie, ni panégyrique, mais une quête fraternelle. Le récit d’un homme d’aujourd’hui qui suit la trace d’un homme d’hier, par empathie plus que par nostalgie. Ce n’est pas une réhabilitation, c’est une conversation.

Fabre : tous les visages, et aucun

Fabre est un prototype, ou une anomalie. Ingénieur centralien, pionnier de l’aviation, poète publié avec préface de Valéry, vulgarisateur d’Einstein (au point de se faire rabrouer par lui), romancier à succès temporaire (Rabevel, prix Goncourt 1923), homme de réseaux et de salons, bricoleur d’idées. Il tente tout, écrit sur tout. Il agace. Il fascine.

Moatti l’écrit sans complaisance : Fabre fut cabotin, brouillon, parfois ridicule. Mais aussi visionnaire, sincère, insatiable. Son éclectisme est romanesque. Et sa disparition dans l’oubli, exemplaire.

Le style de Moatti est libre, curieux, finement ironique. Chaque chapitre est une scène. On y croise un Paris disparu, des salons perdus, des lettres enflammées, des engueulades intellectuelles, des gloires fanées. On sent le respect de l’auteur, mais aussi sa lucidité.

Un socialiste audois : la parenthèse politique

C’est l’un des chapitres les plus surprenants et justes du livre : en 1932, Lucien Fabre se fait candidat socialiste dans l’Aude. Oui, dans la vigne rouge, ce vieux terroir radical-socialiste qu’il aime et décrit dans son roman Le Tarramagnou.

Investi par la S.F.I.O., avec le soutien bien réel de Léon Blum, alors député de Narbonne, Fabre croit pouvoir convertir son prestige littéraire en voix. Il affronte un notabilisme enraciné. Et échoue : 5 855 voix contre 7 274. La politique ne se gagne pas à coups de prix littéraires.

Mais l’épisode est plus qu’un échec. Il dit quelque chose de ce lien affectif de Fabre à son Midi natal. Ce n’était pas de l’opportunisme : c’était une tentative, sincère, d’ajouter la politique à sa panoplie d’homme complet. Moatti le montre sans ironie inutile : c’est le vertige d’un homme qui veut tout embrasser, y compris la défaite.

À retenir

Un certain M. Fabre n’est pas un livre d’histoire littéraire. C’est un livre sur le silence de la postérité, sur les gloires qui s’éteignent, sur la mémoire et ses trous. Fabre, oublié ? Oui. Mais pas sans raison. Et pas sans intérêt.

Moatti signe un livre érudit, vivant, humain dans lequel les illustrations jouent un rôle important, notamment pour comprendre certains points, qui proches en temps (un siècle) paraissent si lointains. Une manière de dialoguer avec les ombres. Et peut-être, de nous préparer à devenir nous aussi des noms à demi effacés. C’est tout sauf triste. C’est élégant.

À propos de l’auteur

Alexandre Moatti, ingénieur général des Mines, chercheur associé (HDR) à l’Université Paris Cité (laboratoire SPHERE), est l’auteur de plusieurs livres et sites de vulgarisation et d’histoire des sciences et des idées.
C’est aussi un ami ! Et cela ne change rien à l’intérêt du livre… ou peut-être tout.

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