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Chronique du Comté de Narbonne.

Hôtel de Ville de Narbonne

Hôtel de Ville de Narbonne

Jeudi 13 décembre de l’an 2012

J’entends des binious et des tambours, mon oncle ! ne manquent que des cornemuses pour parfaire cette celte ambiance dans laquelle est processionnée une énorme grenouille d’un vert approximativement marécageux, ainsi que l’exotique chameau égyptien de nos voisins bitterois au demeurant d’un format curieusement minuscule; des messieurs chenus, colorés à la façon clownesque des confréries vineuses, les suivent, l’air bête (si je puis dire) et le pas hésitant (il fait froid et le sol est glissant). Tandis qu’une petite et maigre troupe de badauds fait escorte à cette drolatique ménagerie, des passants stupéfaits se pincent à la façon des ânes qui braient : « c’est Carnaval ? » s’étranglent-ils. Carnaval, à Noël, serait adoré, et l’enfant Dieu, le Mardi Gras, brûlé ?  Certains même, à Bugarach, voudraient dare-dare aller s’abriter, cette inversion saugrenue du calendrier présageant d’une fin du monde, par le peuple Maya annoncée. C’était mardi dernier, mon oncle ! et c’était de la  fête de Saint Paul-Serge , le saint patron du Comté, dont il s’agissait, en ce 11 décembre de cette année. Comme tu le sais, une des trois légendes prétend qu’à Narbonne, de Bages, il se rendit, après qu’une nacelle par une grenouille conduite l’ait déposé sur le rivage de la Nautique. Je n’ai rien contre ce vénérable apôtre et sa grenouille, mais naïvement je pensais que le 22 mars était la date où on devait l’honorer. Une date conforme aux mœurs de notre emblématique batracien qui, l’hiver, se vautre, au chaud, dans une visqueuse et voluptueuse vase. Qui donc a eu cette cruelle idée de la faire ainsi sortir de son léthargique sommeil en ce mois de décembre venteux et glacé ? Que nos édiles n’accordent aucune bienveillance symbolique, à défaut de charité chrétienne, à notre paisible bestiole passe l’entendement zoologique, mon oncle ! Ce qui après tout ne saurait m’étonner de la part de magistrats à la culture étriquée et bassement commerciale. Mais remplacer les rois Mages par Saint Paul, un de sept apôtres des Gaules, pour annoncer la naissance de l’enfant-Dieu ! Jusqu’où ira-t-on, mon oncle, pour amuser les chalands et bedonner les boutiquiers ? Oui, je le sais, mon indignation à des accents outranciers, l’époque et ses marchands n’ont que faire d’une fête qui, au cœur de la nuit hivernale, célèbre dans la plus grande simplicité d’une étable  la naissance d’une lumineuse Parole ; ou, pour d’autres, l’allongement des jours et la course du soleil vers celui de sa flambloyante apothéose. Quand la bêtise de nos édiles et la crédulité de nos contemporains se conjuguent dans le culte du festif permanent, l’absurde et la bouffonnerie sont de la noce. Qui tendent vers l’infini… Ainsi, ce matin, ai je reçu un poulet commercial d’une auberge au nom historiquement évocateur : « Le Cathare ». Pour le dîner de Noël, son propriétaire, à l’humour inconsciemment sinistre, me propose, entre autres charitables douceurs, de l’agneau grillé à l’authentique feu de bois et des bûches à la crème de marron. Oui, mon oncle ! le Cathare, de surcroît idéalement situé au pied de Montségur, fait des grillades !!! Les Parfaits se retournent dans leurs tombes (si à nouveau je puis dire ; j’espère qu’on me pardonnera !) ; ils en meurent une seconde fois. De rire ! Si on ne peut pas rire au Paradis, à quoi bon en effet y séjourner…

Affectueusement tien, cher parent !

 

Le mur de ma ville.

   

Juste derrière chez moi, sur le mur d’un bâtiment qui héberge notamment le Conservatoire de Musique de Narbonne, ce poème de Pierre Reverdy; que je lis sans me lasser, à mon retour de longues promenades le long du canal de la Robine.

Il faisait un beau soleil, ce jour là!

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Comme le dit joliment Gil Jouanard dans son introduction à une petite anthologie établie par C.M.Cluny:  » Reverdy voit l’autre côté du monde dans ce côté-ci. Comme les anciens Gaulois… « 

Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

Jeudi 6 décembre de l’an 2012

Mon cher  parent !

C’est de « petites phrases » que je voudrais aujourd’hui te parler. De celles que Manuel Decuel, que je t’ai déjà présenté,  collectionne et  dépose méthodiquement dans la colonne  gauche du « Tirelire », à la page deux. Ironiques ou stupides, sérieuses ou banales, elles offrent des lignes de fuites – il m’en faut peu ! – pour m’échapper du tout venant d’articles sociétaux et de réclames ménagères présentement consacrées aux viandes, dindes, poulardes et autres mets qui seront avalés en grandes quantités pendant les fêtes d’une fin d’année, paraît-il en crise. Oui, mon oncle, en crise il paraît, malgré ce que tu peux en croire, et en voir surtout, des dispendieuses festivités programmées par notre Roi, ses comtes et petits ducs dans leurs différentes collectivités. Leurs cassettes sont vides, mais aux décaissements ils ne regardent guère ! Il est vrai que leur fortune personnelle n’en est point affectée. Ici, mon oncle, on vient d’installer, au beau milieu du mail toujours démembré, un ridicule petit marché de Noël constitué de petits cabanons stéréotypés, comme on en voit dans toutes les petites et grandes cités ; quelques girandoles aussi, sur de piteux platanes ratatinés. Tout cela, et si peu, finit par donner à cette enfilade de maisonnettes un air de baraques de chantier qui, finalement, s’accordent assez bien avec la physionomie du lieu toujours occupé par des grues, tracteurs et autres engins dédiés à cette interminable entreprise de rénovation. Mais je m’égare, mon oncle, alors que de petites phrases je voulais te parler. Celle ci a retenu mon attention, d’un quidam au sieur Labatout adressée , logé au dessus d’un bistrotier à la mode sis sur le mail dont je viens de discuter: « On ne peut plus dormir, on ne peut même plus regarder la télé ». La réponse du comte ! « Il n’est pas évident de concilier les critiques fondées des riverains et l’activité légitime des taverniers … » qui, prétend-il, «  font reculer l’insécurité. » Voilà comment nos mastroquets, par notre premier magistrat, se retrouvent enrôlés dans les troupes supplétives de sa maréchaussée ; peut-être même la verra-t-on demain, elle aussi, assurer le service aux clients des estaminets. Je connaissais le goût du comte pour cette engeance bistrotière, que j’affectionne aussi, tu le sais – enfin, modérément ! – , mais à la couvrir de cette pandoresque auréole, il fallait faire preuve d’une grande autorité! Tu me permettras cependant de douter de la voir servir un jour, ou une nuit, du petit lait à la place de jus alcoolisés afin d’éviter troubles et incivilités. Enfin, tout cela présage mal, mon oncle, de l’avenir du mail une fois les travaux achevés. Je crains, en effet, qu’il ne devienne une de ces gigantesques terrasses tavernières où se rassemblent bruyamment de festives et vespérales troupes aussi désoeuvrées qu’assoiffées. Ce qui dans le langage moderne est présenté comme l’acmée de l’animation « culturelle », alors qu’il ne s’agit, dans la promotion de ce raffut généralisé, que de la manifestation rampante d’une nouvelle et insidieuse forme de barbarie. A des degrés divers, l’espace public devient hélas une zone de non-droit, intégralement remplie par la jouissance des uns et l’impuissance des autres ; il n’y a plus que des bourreaux par insouciance et des victimes sans identité. Ah ! mon oncle, qui donc osera un jour proclamer le silence patrimoine immatériel de l’humanité !

Je t’embrasse à présent, et m’en vais me coucher. Il est tard, c’est le temps de rêver ! A bientôt, mon oncle…

Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

 

Dimanche 2 juin de l’an 2012,

Un vent de panique fait trembler tout ce que comptent les terres d’Aude en  autorités royales régentées par le sieur Froussellet, mon oncle : une furieuse marée d’illuminés viendrait envahir nos contrées afin d’exorciser leur peur d’une fin du monde annoncée. Aussi, qu’elles soient à pied ou à chevaux montés, les maréchaussées sont amplement par monts et par vaux déployés afin de Bugarach en interdire l’accès. Dans ce hameau, de l’apocalyse Mayas, ce 21 décembre en effet, la rumeur  publique et hallucinée prétend que, de la fin du monde, on serait protégée. Les gazettes s’enflamment à cette saugrenue et mystérieuse idée, comme les prix des tavernes, des pierres et eaux de cette minuscule localité. Au point que Frousselet, affolé, aux  magistrats a demandé de l’aide et des procès. Pendant ces temps agités, à Bugarach, essayent de vivre une centaine de pauvres âmes et quelques chats errants, perdus, que troublent épisodiquement des escadres de squelettiques corbeaux aux ventres affamés. Les rues y sont désertes et les volets clos ; de vieux murs menacent de s’écrouler à l’ombre de son pic qui, non content de dominer les Corbières, servirait de refuge aux illuminés de tout poil fuyant les derniers feux du cataclysme planétaire enseigné. Nous sommes en plein délire collectif, mon oncle, et comme les mayas voyaient la Terre comme une forme plate et carrée, il n’est pas surprenant après tout que leurs adeptes aient élu cette terre où les habitants ont la tête tout aussi géométriquement formée, pour s’y réfugier. Déjà des marchands pour niais et sorciers, à Bugarach se seraient installés pour y vendre des bérets quadralangués. Peut-être y verrons nous aussi le sénateur Marteau conférencer sur l’imprévisible et monstrueux tsunami dont nos paisibles côtes seraient menacées. C’est son nouvel évangile ! Il court comtés et marquisats pour y prêcher devant des auditoires de rire pliés qui, de mémoire d’homme de Tautavel, n’ont, de méditerranée, vu que de petites et moutonnantes marées. Mais ici, tu le sais, on aime bien les mondes fantastiques et fantasmés. Pense donc à ses Cathares à toutes les sauces, si je puis dire, mêlées. Des châteaux, ils n’en firent point, et pourtant, ne leur sont-ils pas touristiquement attribués ? Mêmes nos plages, comme nos cochons, andouilles et poulets, sont catharisées ! Quel outrage à ses hommes et femmes, mon oncle, qui, pour se sustenter, devaient se contenter de légumes et de lait. Mais les gens de pouvoir font ainsi l’histoire à leur façon. Quant à la géographie ! Souviens toi de Labatout qui voulait, du Comté, « l’ouvrir sur la méditerranée » ! Ce qui, tu en conviendras, était d’une audace inouïe pour une cité dont le port jadis y rayonnait et dont on ne voit pas sur qu’elle autre mer elle pourrait d’aventure se risquer. Il se fait tard et le vent est fort violent ce soir, mon oncle ! De ma fenêtre, j’aperçois un passant, dos vouté, longeant à pas rapides les murs éclairés d’une faible et pisseuse lumière. Sa silhouette noire et fatiguée semble porter toute la fatigue du monde. Vers quel Bugarach se dirige-t-il ? Pour lui, la fin du monde a peut-être déjà eu lieu ; ou bien sa renaissance, que signale un sourire que d’ici je ne peux voir. Tout est une affaire de perspective, de subjectivité, de préjugés, n’est ce pas mon oncle ? La beauté au premier chef !

A toi pourtant qui me lira de bon matin, je te souhaite une bonne soirée…