Parfois un cyprès pousse en toi…

 
Me.29.6.2022
 
9h30, devant la petite porte de l’ancienne entrée du cimetière de l’Ouest, cet admirable cyprès qui toujours plus haut par delà tout oubli s’élance et s’étire jusqu’au ciel.
 
 
« Parfois un cyprès pousse en toi
Consentant
tu porteras fruits
Foudroyé
tu deviendras torche »
 
François Cheng 
     

Un petit-déjeuner avec la Cie Dérézo au Jardin des Archevêques…

     

Je.9.6.2022

9 heures. Petit déjeuner au Jardin du Palais des Archevêques, à l’invitation du Théâtre Scène Nationale du Grand Narbonne. Une trentaine de personnes étaient installées autour d’un étroit comptoir de forme rectangulaire et deux serveuses-comédiennes : Anaïs Cloarec et Véronique Héliès, vêtues de noir, officiaient dans le grand espace central : l’une blonde au teint clair, ses cheveux nus tirés sur la nuque, l’autre brune de peau, coiffée d’une toque noire. Elles étaient comme les deux figurations opposées, mais unies, de ce temps intermédiaire entre la nuit et le jour, l’ombre et la lumière, la vie et la mort ; ce temps où flotte dans nos esprits encore brumeux « des restes de rêves, des lambeaux de sommeil, la nostalgie des draps ou de la chaleur de la couette » ; où le corps encore engourdi enchaîne les gestes automatiques : l’ouverture d’un journal ou d’une radio pour communier dans les eaux obscures et tumultueuses du monde. Il était donc 9 heures, ce matin, quand a commencé ce vrai-faux petit déjeuner théâtral. Le ciel était sans nuages, mais le vent était fort et froid. Et nous étions parfaitement réveillés, très attentifs à revivre ce temps perdu de nos petits-déjeuner pour le retrouver et le partager en textes et en voix avec ces deux magnifiques comédiennes. Nous avons beaucoup ri et souri. Légèrement, cependant. Comme il convient à table, en bonne compagnie. Celle de Proust, notamment, retrouvant le temps de son enfance à Combray avec une madeleine trempée dans du thé, de Barbara, qui, un matin, partit « au bois cueillir les premières fraises de bois… tant pis pour moi le loup n’y était pas » , et de Lewis Caroll, ou d’Alice, qui parfois croyait « jusqu’à six choses impossibles avant le petit-déjeuner »… Sur les visages autour de nous affleuraient tous les signes d’une belle et saine empathie. La confirmation, en quelque sorte, qu’on « ne partage pas le petit déjeuner avec n’importe qui. » Le prendre ensemble, en effet, c’est partager bien plus qu’un repas. C’est aussi, comme le dit si bien Thierry Bourcy, dans son « petit éloge… » : « saluer comme il convient la journée qui vient de naître, en une manière de carpe diem qui serait comme une prière d’action de grâces. » Ce moment de grâce, Anaïs Cloarec et Véronique Héliès nous l’ont merveilleusement offert. On ne dira jamais assez que l’art, la création et le style ont ce pouvoir de tenir à distance, de sublimer, l’amer du monde. Et c’est plus léger et ouvert que nous nous en sommes allés.

Les prochaines représentations de la Cie Dérézo auront lieu à : Saint-Pierre-la-Mer le vendredi 10 juin – Promenade du front de mer, devant la Mairie annexe ; Sigean, le samedi 11 juin – Jardin public, 50 av. de Perpignan ; Bize-Minervois le dimanche 12 juin – Le Pré, sur les berges de la Cesse.

     

Le temps retrouvé : Mady Mesplé, salle des Synodes à Narbonne…

 
 
 
 
 
 
 
 
Lu.30.6.2022
 
J’ai le souvenir, toujours vivace, d’avoir vu et entendu Mady Mesplé papoter, après son récital, dans un salon privé jouxtant la salle des Synodes, et l’avoir alors trouvé fatiguée, vieillie, et pour tout dire quelconque. Quelques minutes avant, placé à bonne distance, j’avais pourtant été ébloui par sa prestance, sa légèreté et sa beauté tandis qu’elle chantait, m’émerveillait. Une déesse drapée dans une longue robe ivoire était là, devant moi !

Montaigne fait du bien ! Il libère, rend plus léger.

 
 
 
 
 
 
 
 
Me.25.5.202
Debout à 7 heures.
Dehors, ciel gris et vent. Café. Trois grandes tasses. L’esprit s’éveille. Mots à mots. Je pense à cette notation de Frédéric Schiffter lue hier soir. Sur la Sagesse. Une remarque de Montaigne.
Pourquoi ? Et pourquoi ce matin. Je n’en sais rien. Une feinte. En vérité, je sais.
J’attends un peu, rêveur, devant la fenêtre du salon. Rues désertes. Silence dans la ville. Puis m’installe devant mon bureau.
J’ouvre le livre III des Essais, sur ma Kindle, tape « sagesse » sur recherche et retiens le texte du Chapitre 5 : Sur des vers de Virgile »
Je lis :
« J’avais besoin dans ma jeunesse de me contraindre et de me solliciter pour me tenir en réflexion, l’allégresse et la santé ne conviennent pas si bien, dit-on, avec ces pensées sérieuses et sages. Je suis à présent dans un autre état, les conditions de la vieillesse ne me donnent que trop d’avertissements, elles m’assagissent et me sermonnent.[…]
Je me défends contre la tempérance comme je l’ai fait autrefois contre la volupté. Elle me tire trop en arrière, et jusqu’à la stupidité. Or je veux être maître de moi, toujours. La sagesse a ses excès, et n’a pas moins besoin de modération que la folie. Ainsi, de peur que je ne sèche, ne me tarisse et n’abuse de prudence, dans les intervalles où mes maux me laissent tranquille, je détourne tout doucement, et dérobe ma vue de ce ciel orageux et obscur que j’ai devant moi.
[…] Dieu merci, je considère cela sans effroi, mais non pas sans effort et sans étude, et je vais en m’amusant au souvenir de ma jeunesse passée. »
Montaigne fait du bien ! Il libère, rend plus léger. Il est temps à présent de me mettre en mouvement… La journée commence à peine !
 
 
 
 
 
 
 

Sur la route du retour, écoute de Proust : Sodome et Gomorrhe, avec la voix de Guillaume Gallienne.

 
 
 
 
 
 
 
Sur la route du retour, en voiture, écoute de Proust : Sodome et Gomorrhe, sur Audible, avec la voix de Guillaume Gallienne. C’est éblouissant ! Je connaissais le texte, mais l’entendre ainsi lu avec tant d’intelligence ne peut jamais s’oublier. À ce moment, par exemple, le fou rire m’a pris :
« La marquise douairière ne se lassait pas de célébrer la superbe vue de la mer que nous avions à Balbec, et m’enviait, elle qui de La Raspelière (qu’elle n’habitait du reste pas cette année) ne voyait les flots que de si loin. Elle avait deux singulières habitudes qui tenaient à la fois à son amour exalté pour les arts (surtout pour la musique) et à son insuffisance dentaire. Chaque fois qu’elle parlait esthétique, ses glandes salivaires, comme celles de certains animaux au moment du rut, entraient dans une phase d’hypersécrétion telle que la bouche édentée de la vieille dame laissait passer au coin des lèvres légèrement moustachues, quelques gouttes dont ce n’était pas la place. Aussitôt elle les ravalait avec un grand soupir, comme quelqu’un qui reprend sa respiration. Enfin s’il s’agissait d’une trop grande beauté musicale, dans son enthousiasme elle levait les bras et proférait quelques jugements sommaires, énergiquement mastiqués et au besoin venant du nez »
Fort heureusement, quand Gallienne rendait ainsi merveilleusement tout le ridicule « savant » et comique de la marquise de Cambremer, j’entrais à très faible allure sur l’aire d’une station service. À « La Junquera », précisément.
 
 
 
 
 

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