« Dans ce monde inventé par les hommes, seul le chien semble toujours à sa place. »

 
 
 
 
 
 
 
 
Rien ne vaut la lecture de trois, quatre pages du journal d’Éric Chevillard : « L’autofictif repousse du pied un blaireau mort (2019-2020) », pour égayer ma journée. Sous sa plume, le monde est renversé ; et son absurdité comico-tragique recouvre toutes les dimensions du réel… Jubilatoire !
 
« 28 septembre.
Il s’immobilisa, la tête renversée en arrière, la bouche grande ouverte. L’avaleur de sabres avait faim. L’épée de Damoclès finirait bien par tomber.
 
Il y a en effet une vie après la mort. Très active même, celle des nécrophores.
 
Ce plumage m’as-tu-vu, cet œil fixe et méchant, ce bec obtus, cette serre avide, le perroquet n’a pas besoin de répéter ses mots pour imiter l’homme à la perfection.
 
25 septembre
Toujours cette impression d’être suivi. Il accéléra le pas, s’élança brusquement dans le lacis des ruelles, bifurqua une fois, deux fois, s’engouffra dans une taverne dont il sortit par l’arrière-salle, zigzagua longtemps encore dans la ville. Le lendemain, l’office du tourisme lui retirait son habilitation de guide officiel et le licenciait sans préavis.
 
ELLE (perplexe). — Heu… Tu prétends avoir passé trois ans dans l’atelier d’un grand maître japonais de l’origami et que ton pliage représente un cygne ?!
MOI. — Mais oui, et même un cygne écrasé par un tracteur, déchiqueté par la charrue, puis à demi dévoré par le chien du fermier. »

Aphorismes, nouvelles (en quelques mots !)

       

Dans la salle des pas perdus du crématorium « Le Grand bleu », elle pleurait ce philosophe balnéaire, son ami – noyé ! : « il aura brûlé sa vie par le petit bout ».

Dans le style « genré » ! De madame Royal, qui n’est pas un aigle, doit-on dire que c’est une buse ?

Assis sur les marches du Palais du Travail, des Sports et des Arts, un clochard. Sur son tee-shirt : « École de commerce de Montpellier ».

Cette après-midi dans un salon de thé (on l’appellera : « Chez Angèle ») : « Mais ma chère Marie, ne vois-tu pas que ton petit Gabriel a le diable au corps ».
 
Ce matin aux Halles. Ma volaillère, un gros couteau à la main : « Je vous laisse la tête ? »
 

« La grande bellazza », de Sorrentino. Un film éblouissant…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
J’ai visionné hier soir le film de Sorrentino : « La grande bellazza » – « la grande beauté » : celle de Rome. Un film époustouflant de virtuosité technique et d’une grande exigence éthique. Jep Gamberdella, interprété par le magistral Toni Servillo, en vieux dandy tiré à quatre épingles, promène son ennui dans les fêtes aussi grandioses que vaines de la belle société romaine. Avec son léger sourire, mi ironique – mi tragique, Jep est un « cynique sentimental » comme l’explique le cinéaste ; il est en quête d’une beauté déjà passée, qui lui échappe sans cesse. Sorrentino dit de son personnage qu’il « navigue entre l’insolence et l’émotion. La beauté l’émeut, il la perçoit, mais il la sait incapable de durer, et la prescience de cette perte implacable lui fait monter les larmes aux yeux dans la séquence où il regarde les clichés de ce type qui s’est pris en photo chaque jour de son existence. ».
La première phrase du film est empruntée à Céline :  » Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déception et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force ».
Et la dernière : « sous le blabla se cache le silence et les sentiments. Que ce roman commence ».
Le film s’arrête. Le spectateur n’a plus qu’à fermer les yeux et son voyage peut enfin démarrer.

Eh ben, non ! Proust « c’est pas chiant »…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
J’ai lu sur le mur Facebook d’un ami lettré, hier soir, que : « Proust, c’était chiant. ». Vexé, je lui ai immédiatement expédié ce commentaire : « Ah non ! J’avance depuis juin par série de 10 pages quotidiennes minimum, et ne lis plus rien d’autre désormais (à l’exception cependant du dernier Modiano et de pages prises au hasard dans le journal de M.Galley…) À cette aune, j’en viens même à penser que la littérature du moment, comment dire ? Ben rien finalement… »
Ce matin, après une grasse matinée de fin de traitement éprouvant, – mais qui m’a permis de bien avancer dans la Recherche –, j’ai fermé ma liseuse sur ces passages où le Narrateur raconte sa soirée chez les Verdurin, entourés de leurs « amis », recevant le baron de Charlus dans leur résidence « la Raspelière » louée aux « de Cambremer », invités eux aussi.
Extraits :
« Moins vivement qu’il [le professeur Cottard] n’eût fait autrefois, car l’étude et les hautes situations avaient ralenti son débit, mais avec cette émotion tout de même qu’il retrouvait chez les Verdurin : « Un baron ! Où ça, un baron ? Où ça, un baron ? » s’écria-t-il en le cherchant des yeux avec un étonnement qui frisait l’incrédulité. Mme Verdurin, avec l’indifférence affectée d’une maîtresse de maison à qui un domestique vient, devant les invités, de casser un verre de prix, et avec l’intonation artificielle et surélevée d’un premier prix du Conservatoire jouant du Dumas fils, répondit, en désignant avec son éventail le protecteur de Morel : « Mais, le baron de Charlus, à qui je vais vous nommer… Monsieur le professeur Cottard. » Il ne déplaisait d’ailleurs pas à Mme Verdurin d’avoir l’occasion de jouer à la dame. M. de Charlus tendit deux doigts que le professeur serra avec le sourire bénévole d’un « prince de la science ».
Et un peu plus loin :
« M. de Cambremer ne ressemblait guère à la vieille marquise. Il était, comme elle le disait avec tendresse, « tout à fait du côté de son papa ». Pour qui n’avait entendu que parler de lui, ou même de lettres de lui, vives et convenablement tournées, son physique étonnait. Sans doute devait-on s’y habituer. Mais son nez avait choisi, pour venir se placer de travers au-dessus de sa bouche, peut-être la seule ligne oblique, entre tant d’autres, qu’on n’eût eu l’idée de tracer sur ce visage, et qui signifiait une bêtise vulgaire, aggravée encore par le voisinage d’un teint normand à la rougeur de pommes. Il est possible que les yeux de M. de Cambremer gardassent dans leurs paupières un peu de ce ciel du Cotentin, si doux par les beaux jours ensoleillés, où le promeneur s’amuse à voir, arrêtées au bord de la route, et à compter par centaines les ombres des peupliers, mais ces paupières lourdes, chassieuses et mal rabattues, eussent empêché l’intelligence elle-même de passer. Aussi, décontenancé par la minceur de ce regard bleu, se reportait-on au grand nez de travers. Par une transposition de sens, M. de Cambremer vous regardait avec son nez. Ce nez de M. de Cambremer n’était pas laid, plutôt un peu trop beau, trop fort, trop fier de son importance. Busqué, astiqué, luisant, flambant neuf, il était tout disposé à compenser l’insuffisance spirituelle du regard ; malheureusement, si les yeux sont quelquefois l’organe où se révèle l’intelligence, le nez (quelle que soit d’ailleurs l’intime solidarité et la répercussion insoupçonnée des traits les uns sur les autres), le nez est généralement l’organe où s’étale le plus aisément la bêtise. »
J’avoue n’avoir jamais éprouvé autant de plaisirs de lecture.

Voyager aussi dans une salle de lecture de la Médiathèque du Grand Narbonne !…

 

Revenant du jardin de la Révolution où j’avais déposé quelques livres dans la « boîte » réservée à cet effet, et passant devant la médiathèque, l’envie m’a pris d’aller feuilleter quelques journaux dans la salle réservée aux lecteurs de gazettes, hebdomadaires et revues de toutes sortes. J’y ai cédé sans doute aussi parce que je venais d’affronter un vent fort et glacial et que ladite salle, de très belles dimensions, est pourvue de sièges très confortables et que la lumière y abonde par de larges panneaux vitrés.

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