Nous étions sur le même trottoir, large et désert. Il était 18 heures environ. Je marchais d’un bon pas, l’esprit en balade ; elle roulait d’un bon train, ses cheveux au vent. Nous avancions l’un vers l’autre quand j’avisai soudain les mouvements suspects de sa bicyclette.
J’en fais l’aveu : je n’achète jamais les romans, récits et essais couronnés d’un prix littéraires le lendemain de leur festive et gastronomique attribution. En général, je le fais, pour certains, les années suivantes, et plutôt chez un bouquiniste, d’ailleurs ; ou bien mais plus rarement, pour ne pas dire jamais, parce que l’un de ceux-là – ou deux, peut-être ! – est déjà rangé dans ma bibliothèque. C’est ainsi ! Le manque de temps, bien qu’il ne soit plus consacré à « gagner ma vie », en est la seule raison. En vérité une authentique allergie au « cirque publicitaire et médiatique » qui précède et suit la proclamation des lauréats de ces prix, aussi. Je disais donc que le temps me manquait et que celui que je consacrais à la littérature, je le réservais, depuis juin, à la (re)lecture quotidienne de Proust – au moins dix pages ! – à celle des journaux de Matthieu Galley et de Pavese, notamment. Je relis aussi, au hasard, des pages de Michon dont le style ne cesse de m’éblouir et celles – déjà lues ou pas – d’ouvrages qui me tombent sous la main quand « je suis planté » tôt le matin devant ma bibliothèque pour les feuilleter ensuite, tout en buvant ma première tasse de café pendant que tout le monde encore dort. (Aujourd’hui, c’était la dernière Pléiade : Virginia Woolf, achetée récemment à moitié prix dans une librairie amie ayant hélas! « plié boutique ».) On l’aura compris, je ne suis pas prêt à lire ceux qui font l’actualité littéraire de ce mois ; je n’en dirai donc rien. Cependant, à propos d’écriture et de style, j’ai souligné ceci, hier soir, un peu avant de m’endormir. Qui n’a rien à voir avec le sujet évoqué dans ces premières lignes. Encore que !
« Par là M. de Guermantes pouvait être dans ses expressions, même quand il voulait parler de la noblesse, tributaire de très petits bourgeois qui auraient dit : « Quand on s’appelle le duc de Guermantes », tandis qu’un homme lettré, un Swann, un Legrandin, ne l’eussent pas dit. Un duc peut écrire des romans d’épicier, même sur les mœurs du grand monde, les parchemins n’étant là de nul secours, et l’épithète d’aristocratique être méritée par les écrits d’un plébéien… Mais une autre loi du langage est que de temps en temps, comme font leur apparition et s’éloignent certaines maladies dont on n’entend plus parler ensuite, il naît on ne sait trop comment, soit spontanément, soit par un hasard comparable à celui qui fit germer en France une mauvaise herbe d’Amérique dont la graine prise après la peluche d’une couverture de voyage était tombée sur un talus de chemin de fer, des modes d’expressions qu’on entend dans la même décade dites par des gens qui ne se sont pas concertés pour cela. » Proust, Marcel. A la recherche du temps perdu (Edition enrichie): L’intégrale des 7 livres. Édition du Kindle.
11 heures 30 sonnent à l’horloge de l’Hôtel de Ville. Le vent du Nord souffle modérément, certes, mais permet néanmoins au soleil de faire de belles apparitions.
En parler ici, en mal, je serai malgré ce la victime et le jouet de son entreprise de séduction idéologique et politique. Pour son créateur et ses agents chargés d’en faire la promotion par algorithmes et hashtag seul compte en effet que son nom, sa marque en quelque sorte, soit reprise et multipliée sur les réseaux sociaux ; qu’elle sature l’espace médiatique : l’objectif visé et, en l’occurrence, hélas ! atteint. Mais que je n’en dise rien, pour éviter de tomber dans ce redoutable piège, après m’être cependant exprimé une bonne fois pour toutes sur ce personnage, mon silence serait probablement interprété aussi comme la preuve inconsciente, ou pas, d’une hypocrite approbation de ses idées et ambitions, au pire ; pour une indifférence coupable, au mieux. Ne me resterait donc plus qu’à parler d’autres « choses » tout en parlant aussi de lui. Possible ! Mais, à l’expérience, difficile de se faire comprendre ! On ne lit plus qu’au premier degré, en surface. Je me demande même si, écrivant ces mots à la volée, je serai finalement entendu. Peut-être aurais-je mieux fait de me taire, après tout… Oui ! Sans doute.
Autrement, il fait très beau aujourd’hui. Soleil, ciel bleu et petit vent du Nord. Bonne après-midi !
PS : La mienne se passera sur la plage à marcher et respirer le plein air du large.
Notaire, il est jeune, riche et de droite. Épuisé par son labeur misérablement rémunéré, il part le week-end au volant de son bolide « quatre anneaux » se « ressourcer » dans les plus beaux hôtels et restaurants de la côte. Bon garçon aussi, il prend à témoin ses amis en leur expédiant des photos où le luxe sort du cadre et des assiettes. Là, sur la terrasse de sa chambre, les pieds en éventail, face à la mer, il philosophe. Car notre jeune « patron » a mal à la France et le fait savoir en postant et tweetant de façon compulsive. Il se désespère, c’est peu dire, de la perte de « la valeur travail », le loisir prenant désormais toute sa place. Et puis ce gouvernement qui « aide à tout va », distribue des milliards… alors que lui-même et tant d’autres chefs d’entreprise ne trouvent plus de collaborateurs. Collaborateurs qui ont bien raison de rester à la maison, soupire-t-il le regard plongé dans les volutes de son « Partagas » puisqu’ils « gagnent » autant en restant chez eux devant leurs écrans plats. Ah ! si seulement tous ces « assistés » voulaient bien vivre au-dessous de leurs moyens, se prend-il à rêver… C’est à ce moment précis de forte intensité philosophique qu’un goéland a traversé en criant l’étroite mais pittoresque baie couverte d’un beau ciel bleu, sans nuages. Ce cri, affreux, résonne encore à ses oreilles. Il le réveille la nuit. Il ne sait toujours pas quoi en penser. Demain il ira consulter.