La fourmi, l’araignée et l’abeille de Francis Bacon

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Allez donc savoir pourquoi, je trouve cette petite fable philosophique de circonstances!

Les philosophes qui se sont mêlés de traiter des sciences se partageaient en deux classes, savoir: les empiriques et les dogmatiques. L’empirique, semblable à la fourmi, se contente d’amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel que l’araignée, ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L’abeille garde le milieu; elle tire la matière première des fleurs des champs et des jardins; puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. La vraie philosophie fait quelque chose de semblable; elle ne se repose pas uniquement ni même principalement sur les forces naturelles de l’esprit humain, et cette matière qu’elle tire de l’histoire naturelle, elle ne la jette pas dans la mémoire telle qu’elle l’a puisée dans ces deux sources, mais après l’avoir aussi travaillée et digérée, elle la met en magasin. Ainsi notre plus grande ressource et celle dont nous devons tout espérer, c’est l’étroite alliance de ces deux facultés: l’expérimentale et la rationnelle….

Marianne à sa place!

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Ils ont été plus d’un million à avoir foulé dimanche cette place de la République pour participer au grand « rassemblement républicain » proposé par François Hollande. Certains participants sont même montés sur la statue monumentale dédiée à la « démocratie française » érigée en 1883 en cette ancienne place du Château-d’Eau, rebaptisée dès 1880 « place de la République ». Sur cette place, plus que sur toutes les autres, Paris est devenu, comme le souligna Manuel Valls, la « capitale de la tolérance et de la démocratie ». Belle consécration pour cette République qui a depuis quelques années été brocardée ou jugée « dépassée ». L’immense mobilisation populaire aura-t-elle finalement redonné à tous les esprits sceptiques le sens de ce que pouvait être l’esprit républicain au moment où fut érigée cette statue fondue sur les plans des frères Morice ? Cette immense Marianne fut inaugurée le 14 juillet 1883, à l’époque de ce que le grand historien, Claude Nicolet, a appelé « la période athénienne » de la République (1879-1899). On la regarde à peine aujourd’hui. Elle vaut pourtant le coup d’œil. La statue, de dix tonnes de bronze et près de dix mètres de haut, dispose, à ses pieds, d’un lion qui protège l’urne du suffrage universel et de trois statues symbolisant la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Autour du socle, douze bas-reliefs représentent les grands moments de la Révolution française puis de la République, depuis le serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789, jusqu’à la proclamation de la troisième République, le 4 septembre 1870.

Il n’est pas inutile de rappeler ce 14 juillet 1883. Car, alors que le pays s’interroge aujourd’hui sur les valeurs à opposer au fondamentalisme, le « retour aux origines » républicaines peut – ce n’est pas le seul car le passé de la France est pluriséculaire – présenter quelques repères, notamment dans certaines écoles de banlieue où la minute de silence en faveur des victimes de la tragédie de Charlie Hebdo a eu du mal à être respectée. À force de traquer avec suspicion les errements du passé (démarche légitime mais à doser dans le primaire et le secondaire), une partie de l’historiographie a fini par perdre de vue l’essentiel : le socle de valeurs communes à défendre.

Sans revenir aux ornières du « roman national », il convient de rappeler qu’une bonne partie de ces valeurs ont été justement consacrées dans ces années 1880 qui ont vu l’érection de la statue de la République, la consécration du 14 juillet comme jour de fête nationale (loi du 6 juillet 1880), ainsi que notre devise, « Liberté, égalité, fraternité ». Ces années 1880 furent les grands moments fondateurs de nos principales libertés publiques ; elles ont inventé ce que les historiens du droit, Romuald Szramkiewicz et Jacques Bouineau, appelaient « l’esprit des lois de la République ».

Temps fondateur du « consensus républicain »

Il fallut attendre 1879 pour que les républicains deviennent maîtres de l’appareil d’État, alors même que la République avait été proclamée, de façon provisoire, après la défaite de Sedan. Après l’épisode « monarchiste » de Mac-Mahon, les républicains qui accèdent au pouvoir avec Jules Grévy seront qualifiés d’« opportunistes » car ces hommes, en premier lieu desquels il faut citer les figures de Léon Gambetta et de Jules Ferry, entendaient mener une « politique des résultats » (Gambetta), étant conscients qu’ils ne pouvaient pas « aborder toutes les questions à la fois » (Ferry). Ils condamnaient la « politique des intransigeances », comme le disait Gambetta à propos des radicaux, comme Clemenceau, qui voulaient faire de la révolution un « bloc » et rejetaient tous ceux qui, en acceptant les grands principes de 1789, avaient plus de difficultés avec la Terreur. Ferry entendait se démarquer de la mystique révolutionnaire pour mieux enraciner la République auprès du plus grand nombre. Pour lui, « on ne fait pas accepter à une société des réformes qui dépassent le niveau moyen des opinions et des tempéraments ». Ces républicains « opportunistes » sont si désireux de faire accepter la République qu’ils voudraient même trouver un compromis avec les anciennes élites. Gambetta déclare que si l’aristocratie se ralliait à la République, « elle contribuera par son patriotisme fier et sa noble délicatesse à lui donner cette fleur d’élégance et de distinction qui fera de la République française dans le monde moderne ce qu’était la République athénienne dans l’Antiquité » (24 mai 1874). Ce moment, qui est aujourd’hui oublié ou contesté, fut un temps fondateur du « consensus républicain » aux contours encore flous.

Ce fut cette République « opportuniste » et libérale qui lancera le grand train de réformes établissant en quelques années, de 1879 à 1885, les grandes bases du droit public républicain. Comme le souligne alors le grand juriste Adhémar Esmein, dans ses Éléments de droit constitutionnel (1896), la révision constitutionnelle de 1884, qui interdit de toucher à la forme républicaine du régime, constitue une sorte d’acte fondateur du nouvel État républicain. Mais les « opportunistes » ne se limitent pas à des textes répressifs. Ils proposent une République « ouverte » qui ne soit pas « l’affaire d’un parti mais celle du pays tout entier ». Ce fut notamment le cas de la grande loi du 29 juillet 1881 qui instaura le régime le plus ouvert au monde concernant la liberté de la presse. Si elle apparaît plus tardivement en France qu’en Angleterre ou aux États-Unis, cette liberté se montre encore plus audacieuse que dans les pays anglo-saxons. La loi établit la liberté totale de l’imprimerie et de la librairie, sauf à répondre, évidemment, des délits de presse (diffamation et injure). La diffamation est une allégation portant atteinte à l’honneur de quelqu’un et l’injure une expression outrageante, qui ne remporte l’imputation d’aucun fait. Dans les deux cas, il s’agit d’une atteinte à un individu. Il est aujourd’hui consternant de voir que c’est dans notre pays que certains voudraient revenir à la criminalisation du « sacrilège » ou du « blasphème ». C’est grâce à cette loi libérale que la presse deviendra en France un « quatrième pouvoir ». La loi du 30 mai 1881 consacre aussi la liberté de réunion, notamment pour permettre aux congrès ouvriers de se tenir sans difficulté. Et la loi du 21 mars 1884 reconnaîtra la liberté syndicale, tandis que la grande loi municipale du 5 avril 1884 assurera pendant un siècle, jusqu’aux lois Deferre de 1982, les grandes libertés locales. Il faudra certes attendre la loi du 9 décembre 1905 pour établir un autre grand principe « républicain », celui de la laïcité. Adoptée dans une période plus « radicale » et antireligieuse, la loi fut néanmoins, grâce à la chute du ministère Combes et à l’action d’Aristide Briand, un texte libéral qui peut parfaitement se rattacher à « l’esprit des lois de la République ». Ainsi se forma le grand panthéon des valeurs républicaines qui se trouve consacré dans l’article premier de la Constitution de 1958 :« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Grande époque du « Ralliement »

Évidemment, ces réformes « opportunistes » ne pourront pas toucher tous les domaines et elles négligeront en particulier la « question sociale ». Cette prudence traduit une certaine indifférence du personnel républicain pour les problèmes sociaux, de sorte qu’en la matière, la France se hissera un peu plus tardivement au niveau des grands empires européens (Angleterre, Allemagne) ou américains (États-Unis). À partir de 1885, le grand train de réformes libérales étant passé, les républicains opportunistes se recentreront même sur une politique plus conservatrice en devenant des « progressistes », comme on va les appeler à l’époque de Jules Méline.

Colonialisme et affairisme deviendront les traits marquant de cette République dont on s’est plu, dernièrement, à souligner les erreurs. Ces dérives doivent-elles nous conduire à rejeter tous les grands principes établis par les mêmes hommes ? La politique habile des « progressistes » convaincra de plus en plus d’électeurs modérés et le projet républicain ne tardera pas à devenir dans ces années 1880 très largement majoritaire dans le pays. C’est la grande époque du « Ralliement » des forces conservatrices à la République, notamment les monarchistes modérés et les catholiques incités par le pape Léon XIII à ne pas faire de la question du régime politique une question dirimante, rappelant que saint Augustin considérait que la Cité de Dieu n’était pas de ce monde.

Grâce à sa politique « protectionniste », Méline sut aussi gagner les campagnes, aussi bien les paysans que les grands propriétaires terriens, à la cause républicaine. Au fond, les principaux adversaires de la République furent, à cette époque (il en alla autrement après 1918), une partie des forces socialistes. Si certains, comme Millerand et Jean Jaurès, se rallièrent à la République, d’autres, derrière Jules Guesde et la Seconde Internationale, dénonceront le « ministérialisme », jugeant en outre les avancées républicaines trop modestes, détournant les masses de la « lutte des classes ».

Il faudra le début de la Grande Guerre pour que tous les socialistes acceptent de soutenir pleinement les institutions républicaines. Cette époque d’Union nationale consacrait enfin le vœu de Jules Ferry. Le 27 février 1893, trois semaines avant sa mort, ce dernier rappelait au Sénat son principal message : « Notre République (…) n’est la propriété d’aucune secte, d’aucun groupe, ce groupe fût-il celui des hommes qui l’ont fondée ».

Dans le Figaro ( édition abonnés ) du 13 janvier 2014. Signé Jacques de Saint Victor

Chronique de Narbonne et d’ailleurs.Un crash politique du PS en décembre 2015 en Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon!?

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Dans un récent billet , je notais que la décision de Martin Malvy  de ne pas conduire les socialistes et leurs éventuels alliés lors des élections régionales de décembre prochain dans le cadre de la grande région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, fragilisait leur capacité à conserver cet ensemble aujourd’hui séparé, mais sous leur contrôle. Je n’y reviendrais pas, et renvoie mon lecteur à sa lecture (ici). À cela , il convient de rajouter à présent deux autres éléments, qui aggravent considérablement la situation du PS, et qui, tous deux, trouvent aujourd’hui des points d’application en Languedoc-Roussillon.

Etre ou ne pas être Charlie, là est donc la question/ La Plume d’Aliocha

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Pour nourrir la réflexion, ce billet d’Aliocha!

« Être ou ne pas être Charlie, telle est la question qui monte en ce moment.

Elle s’est posée sur ce blog dès la semaine dernière à la suite du billet dans lequel je saluais la formidable mobilisation en réponse au massacre perpétré chez Charlie Hebdo. J’ai lu attentivement les commentaires des fidèles qui ne partageaient pas mon point de vue. C’est là que j’ai commencé à voir poindre le malentendu. D’où ce billet… »

La suite en cliquant sur: ici 

« Je suis de sa bande » d’Yves Rouquette …

 
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Photo de Charles Camberoque

   

Le poète Yves Rouquette s’est éteint le dimanche 4 janvier, il avait 78 ans. Serge Bonnery, dit de lui, dans une belle présentation de l’homme et de son oeuvre, qu’il fut « un inlassable porteur de langue. Sa langue, l’occitan, il la voulait sur le papier, dans les livres, en chansons, au théâtre, dans la rue, dans les manifestations contre l’injustice et l’oppression, dans les arbres, sous le soleil ouvertement. L’Occitanie perd l’une de ses plus grandes voix. »  Comme dans ce texte,  qu’il faut lire à haute voix précisément …

Jésus ? je suis de sa bande. Sans réserve, je suis son homme. Avec les églises ou les sectes qui se réclament de lui, c’est évidemment une autre paire de manches. Elles, non. Mais lui : oui, oui, oui. Je parle du Jésus des Evangiles, bien sûr. Des Evangiles « sine glosa, in extenso, in excelsis« , et point final.

Les questions que soulèvent les travaux des historiens ou des exégètes, des archéologues ou des littérateurs, des illuminés ou des cuistres sont sans effet sur moi. Est-il ressuscité ou non ? Est-il mort sur la croix ou de vieillesse ? N’aurait-il pas fait l’amour avec Madeleine ? Sa mère était-elle vierge avant, pendant et après qu’elle le mette au monde ? Et Jean, le disciple bien aimé, n’aurait-il as été son amant ? Ce ne se dit pas trop encore, mais je sens que ça vient.

De tout ça, je me fiche. Autrement plus revigorante est la bonne nouvelle, vieille comme les textes attribués à Matthieu, Luc, Marc et Jean. Elle tient en peu de mots : Dieu est mort en Jésus. Elle n’affligera que ceux qui s’étaient fabriqué un Dieu fait de cervelle d’homme. Un Dieu en forme de souverain au superlatif : créateur et souverain maître de toutes choses, du monde et de l’Histoire, roi des rois, Dieu des armées, législateur en dix articles, expert comptable des crimes et châtiments, juge suprême et implacable.

Ce Dieu-là, Jésus l’abandonne à ceux qui vont avoir sa peau. Lui qui se définit comme « le vrai chemin vivant qui mène au ciel » ne l’a visiblement jamais rencontré.

Le seul dont il parle est père. C’est le Père, son père et le père de tous, juifs ou pas juifs. Un père qui attend ses enfants au bout de leurs errances, de leurs erreurs et de leurs méfaits. Un père qui, comme dans l’affaire du fils prodigue, a gardé un « veau gras » pour le retour de celui qui l’avait quitté et lui a préparé la chambre pour la vie qui n’en finit pas.

Avec Jésus, surgit un Dieu enfin aimable : peu puissant, comme le sont les pères d’ici-bas, suprêmement dépendant, d’infinie douceur, d’infinie patience, tout amour et dont l’amour aura raison de tout. « Qui me voit, disait Jésus, voit le père ». Soit ! Voici donc Dieu sans un caillou pour reposer la tête, accueillant le publicain, la fille publique et l’étranger, pardonnant à tour de bras, emmenant avec lui dans son royaume – le premier de tous ! – le voyou qui l’en prie …

J’ai peine à croire que, pour ce Dieu-là, Jésus soit mort sur une croix en sacrifice : son père n’avait pas besoin de victimes. De même, il m’importe peu qu’il soit ressuscité ou non : Jésus a désormais des milliards de visages. Il est vous, moi, n’importe qui. L’Absolu n’est plus au ciel, mais dans les êtres. Dans les vivants.

Si nous sommes jugés, ce n’est ni Dieu ni Jésus qui jugeront. C’est ceux que nous avons respectés ou méprisés, pardonnés ou condamnés, aidés ou abandonnés. L’oeil pour oeil dent pour dent n’a pas cours chez le père de Jésus. Dieu est mon prochain, il est dans mon prochain.

Au fait, connaissez-vous le nouveau commandement, le tout dernier, le dernier paru ? Le voici : « Aimez-vous les uns les autres ». Il est signé Jésus de Nazareth, apatride. C’est du feu.

Yves Rouquette, le 21 novembre 1999, dans « La Dépêche du Midi ».

Via : Je suis de sa bande | les étés longs. Le blog de Laurent Rouquette

PS : Un grand merci à Laurent Rouquette, le fils d’Yves, pour m’avoir permis d’éditer ce texte publié initialement dans son blog.