À Narbonne, un moment de grâce avec Pierre Reverdy…

 
 
 
 
 
 
 
 
Ve.16.9.2022
 
Moments de vie.
 
Pierre Reverdy, né le 11 septembre 1889 (13 septembre 1889 selon l’état civil) à Narbonne et mort le 17 juin 1960 à Solesmes, fut un grand poète précurseur du mouvement surréaliste du XXe siècle, ami et admiré par les plus grands : Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Louis Aragon, André Breton, Philippe Soupault, Tristan Tzara… Il était à l’honneur dans sa ville natale pour cette 39e édition – les 17 et 18 septembre – des Journées européennes du patrimoine, conçue et réalisée par les équipes de la Médiathèque du Grand Narbonne. Pour leur ouverture, en effet, dès le vendredi 16 septembre, étaient au programme une conférence-lecture de Jean-Baptiste Para, suivie du vernissage de l’exposition qui lui était consacrée : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Une exposition remarquable à la fois par la qualité du « fonds » constitué par la Médiathèque : plus de 60 ouvrages (éditions originales, œuvres illustrées par de grands artistes), et l’élégance didactique de sa présentation. Un peu avant sa visite, Jean-Baptiste Para, lui-même poète, critique d’art et rédacteur en chef de la revue littéraire Europe nous avait présenté les grandes lignes de la vie de cet immense poète et de son œuvre, ses relations avec ses amis, poètes et peintres majeurs du XXe siècle. Ce fut un moment de grâce ! Un bel exercice d’admiration empreint d’humilité dont l’érudition et l’intelligence parvenaient à nous rendre sensible un imaginaire et une poésie considérée par beaucoup comme difficile d’accès. La voix de Jean-Baptiste Para, ronde et douce, y contribuait grandement… C’était la première fois que Pierre Reverdy se faisait ainsi entendre. Plus tard, j’ai ouvert ma liseuse et relu les surlignements de son « Livre de mon bord » (1948) faits à l’occasion de mes lectures. En voici trois :
« Le style, c’est peut-être l’homme. Mais l’art d’écrire est plein de perfidie. On lit avec intérêt l’ouvrage d’un homme avec qui l’on ne pourrait parler cinq minutes sans avoir envie de le gifler, et tel autre, que l’on trouve crispant à lire, si on le connaissait, pourrait être un charmant ami. »
« Il y a les idées qui partent dans l’air, dans la réalité comme des balles de pelote. Les dures, les bonnes rebondissent — les molles, les mauvaises, les fausses retombent au pied du mur, lamentables. Mais c’est de celles-là que l’on est, précisément, assommé. »
« Un visage plein de sourires, comme une coupe de beaux fruits. »
C’était hier. Elle était avec un petit groupe autour d’un guide sur la place de l’hôtel de ville à écouter ses explications – elle semblait attentive ! Et quand son visage s’est tourné vers le mien, c’était comme une coupe de beaux fruits … « Chose troublante dans ce monde de haine — un regard inconnu d’où déborde la sympathie. » (Le livre de mon bord)
 
 
 
 
 
 
 
 

Il faut aussi que toutes ces attentes cessent, pour n’en garder qu’une…

 
 
 
 
 
 
 
Place de l’Hôtel de Villee.1.9.2022
 
Lecture. Moment de vie…
 
 
Alain Monnier a inventé un de ces anti-héros très attachants, Barthélémy Parpot. Il l’a mis en scène dans quatre romans, d’abord édités par les Éditions Climats dans les années 1990-2000, puis réédités et réunis ensuite dans un seul volume publié en livre de poche : Le Petit monde de Barthélémy Parpot, Paris, Flammarion/ 2015.
Un Petit Monde que je connais, pour avoir lu, dès leur sortie, les histoires de ce rebelle passif ou involontaire qui n’a aucun projet subversif sinon d’être et de vivre comme tout le monde. Son créateur présente ainsi Barthélémy Parpot : « Le sort ne l’épargne pas mais il s’en accommode, il sourit, il est sans rancune, il trouve des excuses aux uns et aux autres, il formule des explications sans amertume ni animosité. Il est à cent lieues des revendicatifs et des acrimonieux qui envahissent l’espace public. » C’est dire aussi qu’il y a dans chacun des romans d’Alain Monnier, une part de conte ou de fable : « C’est un côté qui peut agacer mais qui personnellement me plaît… La morale permet de se tenir debout et d’installer le respect indispensable à la vie en société… Tous ces individus d’aujourd’hui, arcboutés sur leurs seuls droits, me fatiguent ».
En ce moment, je lis « Place de la Trinité », publié en 2012. Un roman d’amour, une satire de notre époque et de ses vanités ; et une fable donc sur les paradoxes de nos destinées humaines.
Voici l’histoire ! Adrien Delorme, quarante-huit ans, est « maître de conférences en littérature et rattaché au laboratoire de recherche intertextuelle qui planche avec acharnement sur l’œuvre de Flaubert. Laboratoire qui emploie douze chercheurs sur le décryptage des torchons du bougon. Le drame d’Adrien, c’est qu’il déteste Flaubert, et qu’il ne peut pas le dire… Allez clamer dans l’université que Flaubert vaut tripette, et ce sont – debout les morts ! – Sartre, Proust, Foucault qui sont convoqués, articles ou études en avant, pour démontrer à quel point vous êtes un âne. Dont acte. Donc, on se tait. Donc, on laisse douze types publier des supputations qui n’engagent qu’eux jusqu’à leur retraite. Tranquilles peinards, ce ne sont pas eux qui vont nous flinguer le CAC 40 ou le PIB. »
La vie d’Adrien Delorme a pour centre d’attraction la « Place de la Trinité », cette place que les Toulousains connaissent bien. Il y habite, a ses habitudes de café et de librairie, et surtout y déjeune une fois par semaine avec Louise. De douze ans sa cadette, la jeune femme, mariée et mère de deux enfants, ne partage pas l’amour que lui porte Adrien. Sept siècles plus tôt, Pétrarque y fit une halte et décida alors de se lancer dans l’écriture de son chef-d’œuvre, le Canzoniere, dédié à la passion platonique qu’il éprouva quarante ans durant à l’égard de Laure. Un jour, Louise ne vient pas au rendez-vous. Face à cette absence qui bouleverse son existence, Adrien ne quitte plus la place de la Trinité afin d’attendre le retour de l’aimée…
Voilà pour la trame de cette histoire qui, sous le regard tendre et doucement ironique d’Alain Monnier, présente un catalogue de tous les travers de notre modernité. Une modernité faite et écrite par des démagogues rageurs, des bien-pensants agressifs, et des cyniques de tout poil qui fait le quotidien d’Adrien Delorme et le nôtre. Le style d’Alain Monnier, d’une élégance classique qui n’est pas sans me rappeler celui d’un Sempé, ajoute au plaisir de lecture de ce petit – et vif – roman. Christian Authier note avec raison sa lucidité désolée et sa proximité de ton avec Marcel Aymé…
Un dernier mot enfin, pour dire que « Place de la Trinité » est aussi un bel éloge de l’attente… : « Adrien savoure l’idée qu’on passe sa vie à attendre. Un train, une lettre, le résultat d’un scanner, le verdict, que la nuit tombe, le lendemain, la fin du film. On attend l’année prochaine. On attend la date anniversaire, les dates anniversaires. Comme Pétrarque. On attend nos premières fois. Avec angoisse et émotion. Il faut aussi que toutes ces attentes cessent, pour n’en garder qu’une, la seule qui nous importe vraiment, qui nous concerne jusqu’au bout. Jusqu’au dernier souffle, jusqu’au dernier râle. Ce qui sera notre dernière première fois. »
C’est hier après-midi que m’est venue l’idée de cette chronique littéraire. Au sixième coup de cloche ! J’étais alors assis à la terrasse du Petit Moka, Place de l’Hôtel de Ville de Narbonne. Il y avait beaucoup de monde autour de moi. Des touristes surtout. On les reconnait à l’allure. Ils tournent, traînent et attendent. En bandes ! C’était ma première sortie en ville depuis que la Covid m’avait mis sur le flanc. Et j’attendais… Seul ! Un coup de fil de Mila, ma petite-fille, est venu interrompre mes rêveries. Elle voulait me chanter une chanson. En vérité, elle me demandait de rentrer… Et puis…, un des personnages secondaires de ce roman, un nommé Ramon Sempéré, photographe plasticien et intermittent du spectacle toujours en quête de subventions, est né à Narbonne, rue du Four-à-Chaux (des Fours à Chaux, plus précisément). Un indice qui a éveillé ma curiosité et m’a conduit à me renseigner sur Alain Monnier. Pour découvrir qu’il s’agissait du nom de plume d’Alain Dreuil, né le 14 juillet 1954 à Narbonne. Un jour peut-être prendrons-nous un café ensemble place de l’Hôtel de Ville. Qui sait ?
 
 
 
 
 
 

Moment de vie : lecture de la « Reine de cœur », d’Akira Mizubayashi.

     

   

Me.24.8.2022

Moments de vie. Lecture.

Avec son « Âme brisée », j’entrais, « hier », par le plus grand des hasards, dans l’univers romanesque d’Akira Mizubayashi. Une révélation qui m’a poussé à ouvrir un autre de ses romans : « Reine de coeur ». Pour y retrouver les mêmes qualités de forme et de style qui m’avaient tant séduit lors de ma précédente lecture. Akira Mizubayashi, pour ceux qui ont la chance de ne pas encore le connaître, est un romancier japonais qui écrit directement en français. Une langue qu’il maîtrise parfaitement pour la mettre au service d’une sensibilité et d’une esthétique, disons « japonaise ». Son style est élégant et sa prose simple et précise. Une sobriété de ton et de forme, caractéristique d’une conception de la vie soumise à la fugacité et au hasard ; à l’imprévu, l’aléatoire. En ce sens, on peut dire d’Akira Mizubayashi qu’il est un classique français demeuré « philosophiquement » japonais.

Dans ce roman, l’histoire qu’Akira Mizubayashi nous raconte commence en 1939. Jun Mizukami, jeune altiste, perfectionne alors son art à Paris et vit une belle histoire d’amour avec Anna, une jeune institutrice. Le Japon entrant en guerre, il doit regagner son pays « en proie à la folie belliciste, au désir d’expansion coloniale, à la politique fanatique d’un État militarisé ». Chacun emporte la moitié d’une photo déchirée en deux, formant des vœux que plus tard ils pourront la réunir. De leur dernière nuit ensemble naîtra une fille.

Dans le premier mouvement de ce texte composé comme une symphonie, l’on découvre Jun, en Mandchourie, sommé par son supérieur inculte et fanatisé d’exécuter au sabre, en lui tranchant la tête, un révolté chinois. Des têtes tombent dans des fosses creusées par les futures victimes, tandis qu’à des milliers de kilomètres des bombes pleuvent sur la France où Anna fuit Paris.

Quelques décennies plus tard, une jeune altiste, la petite fille d’Anna, Marie-Mizuné, se voit offrir par un inconnu, à la sortie d’un concert, un livre au titre énigmatique : L’oreille voit, l’œil écoute : « Un roman qui cherche à brosser le portrait d’un musicien résistant broyé par la violence de l’Histoire… Il est enrôlé dans l’armée, il est amené à connaître et même à commettre des atrocités, mais […] il fait tout pour ne pas perdre son âme, au risque de devenir fou… »

Plus elle avance dans sa lecture, plus Mizuné devine l’histoire d’un grand-père qu’elle n’a jamais connu mais qui, comme elle, était altiste avant d’être contraint de troquer son archet contre un sabre. Elle rencontrera, à son initiative, l’auteur de ce roman, un nommé Otto Takosch, un pseudonyme germanique sous lequel se cache en réalité un jeune japonais, Otohiko, qui se révélera être le petit-fils de Jun. De ce hasard miraculeux naîtra une nouvelle histoire d’amour. Les deux moitiés de la photo de leurs grands parents seront dès lors réunies et l’alto de Jun, lui aussi enfin retrouvé et restauré, renaîtra sous les doigts de Mizuné. Signé « Reine » par son luthier japonais, elle en fera sa Reine de cœur…

Comme dans « Âme brisée », la musique imprègne de bout en bout ce roman dont la forme, avec ses cinq mouvements, épouse celle de la huitième symphonie de Chostakovitch. Une symphonie qui exprime avec des moyens propres à la musique toute la violence de la guerre et ses effets ravageurs sur le psychisme humain – Admirables sont les pages qu’Akira Mizubayashi consacre à cette œuvre !

On ne lit pas seulement « Reine de cœur ». On l’écoute. Et on entend alors l’histoire de tous les personnages. La grande aussi. Celle dans laquelle ils « jouent » et risquent leur vie. Chacun, et tour à tour, soliste ou prisonnier des circonstances de l’époque.

La dernière page lue de ce roman envoûtant, je me suis précipité sur ma chaîne Hi Fi pour y insérer le CD de la symphonie concertante de Mozart. J’aime me laisser aller dans ces atmosphères mélancoliques. J’y puise l’énergie nécessaire pour résister à la violence, à la bêtise et à la laideur qui, tous les matins du monde, se présentent à moi ou se font bruyamment entendre. Aussi, le scepticisme doux d’Akira Mizubayashi, la virtuosité de ses compositions, la « beauté plastique » de sa prose et ses variations sur les thèmes de la fidélité, de l’amitié, de la transmission, de la résistance aux nationalismes porteurs de haine et de violences sont un précieux viatique par ces temps lourds et sombres. Lisez-le donc ! Écoutez-le !

       

Lecture : « Âme brisée » d’Akira Mizubayashi (La mélancolie est un mode de résistance…)

 

     

Ve.19.8.2022

Lecture.

Je ne connaissais rien du romancier japonais Akira Mizubayashi. C’est le commentaire laconique d’un ami : une phrase ! sur mon fil d’actualités Facebook qui m’a incité à le lire. Et j’ai choisi, pour commencer, « Âme brisée ». Un roman bouleversant ! Il n’est pas facile de l’avouer, tant il est rare de « pleurer » à la lecture d’un livre de fiction, mais Akira Mizubayashi nous y pousse avec ce roman de facture classique, écrit dans une langue d’une simplicité cristalline, élégante, envoûtante. Une langue qui sait toucher au cœur par sa délicatesse, son intelligence et son élévation d’âme – l’âme dont il est question dans le titre renvoie à la petite pièce d’épicéa essentielle à la propagation du son d’un instrument à cordes.

Les premières pages de l’histoire qui nous est racontée nous transplantent à Tokyo le 6 novembre 1938. Un quatuor amateur : Yu, un professeur d’anglais et trois étudiants chinois, Yanfen, Cheng et Kang, restés au Japon, malgré la guerre dans laquelle la politique expansionniste de l’Empire est en train de plonger l’Asie, y répète le Rosamunde (D. 894) de Schubert, avant que ne fasse irruption la soldatesque impériale, qui brise littéralement les choses. L’instrument du premier violon, Yu, est saccagé et l’homme disparaît à jamais, laissant son fils Rei, terrorisé, caché dans une armoire. L’enfant cependant échappe à la violence des militaires grâce au lieutenant Kurokami qui, lorsqu’il le découvre dans sa cachette, lui confiera le violon détruit. Rei sera finalement adopté par Philippe Maillard et son épouse – Philippe était le professeur de français de Yu. Devenu Jacques, il n’aura alors de cesse que de réparer le précieux instrument. C’est la raison pour laquelle il devient luthier, se formant en France à Mirecourt, en Italie à Crémone, auprès des plus grands maîtres. Restaurer le violon de son père sera le but de sa vie et l’objet de sa reconstruction. Un jour, son attention est attirée par sa compagne Hélène sur une jeune violoniste virtuose, Midori Yamazaki, surtout par les propos qu’elle a sur son grand-père qui n’est autre que Kengo Kurokami. Et s’inverse le temps : Rei prête à la jeune femme le violon de son père, emblème de leurs deux histoires. Et la vie se fait grâce…

Akira Mizubayashi tresse et croise dans ce texte magnifique placé sous le signe d’un amour passionné pour la musique allant de Bach à Berg, tous ses thèmes de prédilection : la fidélité aux origines, l’amitié, la transmission, le silence, l’art et la beauté ; sa hantise du nationalisme et de la guerre aussi. Un livre qui, jusqu’à la dernière page lue et après l’avoir refermé, résonne encore longtemps à la manière du quatuor Rosamunde (D. 894). « — La mélancolie est un mode de résistance, déclara Yu. Comment rester lucide dans un monde où l’on a perdu la raison et qui se laisse entraîner par le démon de la dépossession individuelle ? Schubert est avec nous, ici et maintenant. Il est notre contemporain. C’est ce que je ressens profondément. »

Ce livre est un cadeau !

Akira Mizubayashi, Âme brisée, Gallimard, 2019, 239 p., 19 €

     

Benjamin Crémieux, un narbonnais premier de sa classe…


   

Ve.15.7.2022

Longtemps, tous les samedis matins, j’ai écouté sur France Culture « le Monde contemporain », une émission animée par Francis Crémieux et Jean de Beer. Je vivais alors loin de ma ville natale, Narbonne,

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