Adrienne Mesurat ou l’inexorable montée d’une implacable et destructrice psychose…

 
 
 
 
Je.29.6.2023
 
Lecture : Adrienne Mesurat de Julien Green.
 
Adrienne Mesurat, jeune provinciale de dix-huit ans, vit entre son père sénile et sa sœur Germaine, vieille fille tuberculeuse. Un seul regard, un bref signe de salut du docteur Maurecourt, quadragénaire sans grâce ni séduction, laid, alors qu’il passait en calèche devant elle dans une rue, et le coeur d’Adrienne, voué jusque-là au néant de la solitude, va s’enflammer d’un amour passionné et exclusif ; jusqu’à des pèlerinages d’adoration devant la demeure du docteur. Un récit de jeunesse de Julien Green écrit à la manière d’un Mauriac ou d’un Bernanos, dans lequel est décrit de façon magistrale l’inexorable montée d’une implacable et destructrice psychose. Un texte envoûtant ! Un chef d’œuvre !

Une carte postale de Gruissan…

 
 
 
 
 
 
 
 
Lu.26.6.2023
 
Carte postale !
 
Lundi au marché de Gruissan. Dans le vieux village. Il est 10 heures. Il fait chaud. Très chaud. Assis à la terrasse de la boulangerie pâtisseries Bertrand, à l’ombre, j’attends mon café. À ma droite, un couple de retraités allemands. Lourds ! Sous la chaise de la dame, un petit chien blanc. Allongé, il tire la langue et respire bruyamment. Puis sursaute en grognant. L’épaule grasse de Monsieur montre un tatouage. Sa copie figure sur la cheville disgracieuse de Madame. Ils se font face. Sur la table, deux grandes tasses, un pot de lait en métal, une corbeille pleine de viennoiseries. Ils mangent de bon appétit. Méthodiquement. En silence.
Une queue se forme devant l’entrée de la boulangerie. À l’allure, au style et au poids on devine des touristes. Jeunes ou vieux, ils exposent les mêmes dessins sur leurs corps. Plus ou moins bleus, plus ou moins noirs. Des orteils jusqu’aux oreilles. Des signes de reconnaissance, d’identité, qui finalement les font tous pareils.
Une voix, derrière moi, se fait entendre. Une voix de femme qui téléphone. Dans des tons aigus qui agressent. Elle surjoue la vacancière : Il fait beau, ici… Mais quel vent… Ah bon, il pleut chez toi… Ah ! Ah ! Toutes les robes sont à 15€… Elles sont toutes longues… Gros bisous ! Tchao ! Tchao ! On devine sa joie à l’envi qu’elle provoque à l’autre bout du « fil ». Je me retourne. De grands verres noirs cachent ses yeux. Ses traits ont été tirés par des mains expertes. Trop ! Et ses lèvres sont boudinées. De sa main gauche elle soulève gracieusement ses cheveux décolorés. Une main qui trahit son âge. Une minauderie touchante. Je lui souris.
 
 

 

Me promenant sur les Barques de Cité, j’aperçois de loin un corps déformé, affaissé sur un banc.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sa.24.6.2023
 
Me promenant sur les Barques de Cité, j’aperçois de loin un corps déformé, affaissé sur un banc. In petto et toujours à cette distance, mon esprit traduit : encore un traîne-misère en train de cuver.

C’est le jour où l’on pense à son père.

       

Di.18.6.2023

C’est le jour où l’on pense à son père. Il avait 23 ans, ici. Il tient la main de son fils ; qui s’émeut aujourd’hui de cette ressemblance, l’âge avançant. Il avait, ce que j’ai longtemps ignoré, cette classe naturelle qui défit codes sociaux et manières « bourgeoises ». Il existe une expression en espagnol pour en parler et la reconnaître : Que altura hombre ! Si ! que altura !

 

Les gens désespérés sont les gens les plus faux !…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ve.16.6.2023
 
Il est 5 h 30 du matin. Les fenêtres de ma chambre sont grandes ouvertes. Un air frais agite mollement les rideaux. Adossé à mon oreiller habituel, je lis sur ma Kindle « Bon qu’à ça », d’André Blanchard. La pénombre est douce et le silence presque parfait – la ville s’éveille à peine. Je surligne et m’arrête quelques instants sur ce passage :
« Il y a dix ans, je regardais cette jeunesse – mes condisciples – traîner la nuit dans les bars, et se plaire à donner le spectacle de blasés avant l’heure, d’as de la perdition, de casse-cou du néant. Bref, on aurait juré que l’année ne passerait pas sans que la plupart finissent au bout d’une corde. Mais je connaissais mes lascars, il me semblait bien qu’avec le temps et un soupçon de bonne volonté, ils se caseraient – et dans le confort : ce qui s’avéra. Je me rappelle avoir songé : ah ! les bougres ! encore un peu et ils persuaderaient que… les gens désespérés sont les gens les plus faux. »
Rien n’a changé, me disais-je. Avec un bémol, cependant. Si je puis dire ! Les acteurs sont plus nombreux et le spectacle quotidien. À les entendre, en effet, nous finirons tous grillés ou noyés ! Une invitation au suicide. Ou à la fuite. Dans la folie ! Une promesse de fin du monde, et trop désespérée elle aussi – comme eux – pour ne pas être fausse.
J’en étais là de mes réflexions quand un message s’est affiché sur l’écran de ma liseuse. Je devais l’arrêter et recharger sa batterie. Ce que je fis. Pour entreprendre aussitôt la lecture en format papier de trois ou quatre nouvelles de Carver. En commençant par « Obèse ». Cinq pages dans « Tais-toi, je t’en prie » (L’Olivier). Livre que j’ai toujours à portée de mains dans ma tablette de nuit.
Cette nouvelle, je l’ai lue une dizaine de fois. Et toujours avec la même admiration pour son auteur. Quelques mots, quelques virgules et le quotidien, le banal prennent une dimension vertigineuse. On attend toujours la catastrophe. On la pressent et pourtant elle n’arrive pas. Ou, plus exactement : la catastrophe, c’est la vie même :
« C’est marrant, ton histoire, dit Rita, mais je ne sais pas trop quoi en penser. Je me sens abattue, mais je ne lui en parlerai pas. Je ne lui en ai déjà que trop dit. Elle est assise là et elle attend, en se tapotant les cheveux du bout des doigts. Elle attend quoi ? Ça, je voudrais bien le savoir. »
 
Blanchard André. « Bon qu’à ça » au Dilettante, 2023.
 
 
 
 
 

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