C’est dans ces moments-là que la fragilité de nos vies me saute aux yeux.
Sa.27.10.2023
« Cabron ! » entendis-je. Je venais de payer à la caissière une baguette de pain et deux mille-feuilles. Elle n’avait rien entendu. La voix sonore qui venait d’articuler ce juron était derrière moi. Je me suis retourné pour tenter d’identifier son auteur. Dans le mouvement, j’ai croisé le regard d’une jeune femme. Elle paraissait consternée. À ma muette réprobation, elle répondit, les yeux baissés, par un léger mouvement de tête qui m’orienta vers un petit groupe de garçons qui faisaient la queue, au fond du magasin. Deux autres jeunes femmes étaient à ses côtés. À l’écart de la file des clients. Je ne pus saisir les quelques mots en espagnol qu’elles échangeaient. Mais aux mouvements du visage de mon indicatrice, je compris qu’elle éprouvait un sentiment de honte ; qu’elle voulait se distinguer de l’auteur de cette grossière insulte. Peut-être était-ce son amant ! Ce que je crus comprendre quand, passant devant elle pour rejoindre la sortie, je vis ses joues s’empourprer. « Quien es este », lui avais-je demandé du bout des lèvres. Plus tard, dans l’après-midi, assis sur un banc du jardin de l’Archevêché, j’ai pensé à cette jeune femme. À sa gène, à son fugace désir d’être ailleurs. Un regard, deux mots, parfois, suffisent à changer le cours d’une vie, songeai-je. J’imaginais alors qu’elle avait quitté son amant et que la sienne n’était plus souillée par sa vulgarité. Devant moi passaient de petits groupes de touristes. Je ne comprenais pas toutes les langues. Armés des mêmes « mobile », ils traînaient les pieds et leurs enfants dans les allées de gravier. Leurs éclats de voix couvraient le murmure de la fontaine — qui est aussi une horloge solaire. C’est dans ces moments-là que la fragilité de nos vies me saute aux yeux.
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