Chronique du Comté de Narbonne.
Ah ! ce Dédé de Navarre, mon oncle ! Tourneboulé, les neurones en émoi, le naufrage de Bodorniou et de son équipage, qu’il n’a cessé pourtant de flatter à longueur de colonnes dans sa gazette durant le premier tour de cette guerre des « roses », lui fait voir le « petit monde » comtal de bien étrange façon. Ne vois tu pas que dans les dernières lignes de son poulet d’hier, il sermonne la marquise de Fade pour n’avoir pas rendu hommage au comte de Labatout : les observateurs attentifs de la vie de cour narbonnaise s’en tordent encore les boyaux. Quand même ! Cette victoire de la marquise de Fade et son entrée à la cour du Roi Batave, elle ne les doit qu’à « l’étiquette » royale, à son patient et laborieux travail, et à l’indéfectible et constant soutien du sénateur Marteau. En lui rendant un hommage appuyé le soir des résultats, elle désignait ainsi ceux des siens qui lui ont fait sournoisement défaut. On imagine sa tête à la lecture de ses lignes de Dédé où il explique doctement qu’elle aurait tort d’oublier le Comte qui, en filigrane, c’est son mot « aurait joué un rôle plus important qu’il n’y paraît. » On s’étouffe au club des fumeurs de havane du sieur de la Brindille et on avale des équerres dans les ligues libres-penseuses, mon oncle. Seuls les courtisans appointés et les tartuffes de toute obédience font encore semblant de voir dans l’âne de Buridan qu’il fut, jusqu’à ce que le vent forcit dans les voiles de la marquise, un chef d’œuvre tactique inspiré par les mannes de Talleyrand. Il est cependant vrai que la médiocrité est assez souvent secondée par des circonstances qui donnent à ses desseins un air de profondeur. Ton ami François-René remarque que des hommes impuissants qui, pour la foule, paraissent diriger la fortune, sont tout simplement conduits par elle et, comme ils lui donnent la main, on croit qu’ils la mènent. Mais ce serait faire injure à l’intelligence de la marquise de Fade et du Prince, dit le petit, de Gruissan, de prétendre leur faire gober cette fable bornée par le tragique d’une amitié pathétiquement écartelée. En réalité, mon oncle, je me demande si Dédé de Navarre, inconsciemment sans doute, ne pensait pas plutôt à lui aussi dans ce « papier » astucieusement tourné. La marquise, qui souffrit du traitement que lui firent subir le gazetier et son double comtal, saura, un jour, du siège qu’elle occupe désormais à la Cour, le leur rappeler. On apprend vite dans cette jungle : les sourires pour séduire et les grimaces, traces survécues des habitudes préhistoriques, pour mordre. Dans ma prochaine missive, je te parlerai de cette autre guerre rosienne qui vit la revanche du petit marquis de Landrieu sur le sieur Bodorniou. En attendant de te réjouir de ces petites comédies humaines, mon oncle, je te souhaite bien le bonsoir. L’heure n’étant pas encore au repos, je m’en vais rejoindre l’œuvre de Paul Adam. Le connais tu ? Quelques pages encore pour terminer le premier tome de sa tétralogie : le Temps et la Vie, son titre ? La Force… « Faut-il donc devenir des brutes joyeuses qui acceptent tout ce qui ne gêne pas leurs vices ?…Vous n’avez point parlé ainsi, Caton, ni toi, Brutus ! », se lamente ainsi Bernard Héricourt… Je t’embrasse, mon oncle !
Rétrolien depuis votre site.