Chronique du comté de Narbonne.

 

 

 

Le printemps est en avance, mon oncle ! Les premiers verdets batifolent dans le  cyprès qui égaye ma fenêtre ; les fidèles tourterelles s’affairent à leurs nids, brindilles au bec, et les facétieux rouges-queues pépient de bonheur. La nature opère enfin sa grande métamorphose: la sève fermente et se développe ; elle colore de vert pâle branches et rameaux. Ton ami Patrick de la Natte, m’est finalement apparu lui aussi! Imperméable au changement de rythme et de couleur des saisons, rien n’a changé dans sa vêture quelconque , qu’il porte près du corps à la manière d’un spadassin ; ce qui rehausse sa longue et raide silhouette et flatte sa petite queue de cheval catoganée. C’est donc au théâtre que je le vis ce tantôt. L’air abrupt, il feuilletait un prétentieux et fort couteux dossier de propagande destiné aux « nouveaux narbonnais ». Le premier conçu et supervisé par ce chevalier de l’info, expert, comme tu le sais, en embouteillages et enfumages de toutes sortes. De son art d’illusionniste, notre ami le duc de Lamonyais garde encore le souvenir amer d’une Cité paralysée par des armées de carrosses, qui, le lendemain de son départ pour d’autres cieux journalistiques, retrouvait par miracle la fluidité de sa circulation! Posé au premier rang, Patrick de la Natte, faisait face au Comte de Labatout et à toute sa cour assise et serrée derrière lui comme harengs en caque. Une masse compacte, dans ce style écrasant qu’affectionnent ces tsars qui se veulent de toutes les Russies quand le notre se réjouirait plus modestement que sa petite ville fut enfin grande. A la même heure, le Prince de Gruissan fourbissait ses armes, fermement décidé à occire une bonne foi pour toutes, son « ami » le Comte de Labatout et sa favorite la Marquise de Fabre. « Jamais ces faux amis ne deviendraient nos maîtres ; Et je les ferais tous sauter par les fenêtres », se répète-il tous les matins en récitant son bon vieux Destouches devant sa complaisante psyché. Son ancien parti de la « rose », aurait bien tort de le négliger. N’est-il pas le fidèle argentier du nouveau Roi de Septimanie, le Marquis du Bouquin, porteur de rose officiel lui, certes, mais du genre tournesol ! Ainsi posté et assis sur la précieuse cassette du Royaume de Septimanie, le Prince (dit le petit) de Gruissan peut l’ouvrir et la fermer à sa guise, et avec « dividendes », sur le Comté de Narbonne. J’en veux pour preuve un « petit meurtre entre amis » que nos gazetiers locaux ont passé sous silence : ils sont trop occupés à ne pas dépasser les frontières d’une bienveillance intéressée. Au fait, t’ai je dit que la gente dame du premier assistant du comte de Labatout tenait plume à « Tirelire » et que travaillait aux écritures d’un bureau du Château le fils d’un nouvelliste du « Dépendant »? Ce qui, tu en conviendras, borne assurément  la liberté d’informer. Mais plutôt que de gloser sur ces connivences de cours et de jardins, qui rendent fastidieuses la lecture de leurs insignifiants papiers quotidiens, je m’en vais te narrer un prompt et fort édifiant homicide « symbolique » qui hante encore les placards du comte de Labatout. Un comte, qui, de l’aveu même de ses propres conseillers, n’est pas un aigle de perspicacité; ses épaisses lunettes de la dernière mode, qui lui vont comme un béret basque sur le crâne pelé d’un évêque, ajoutant de surcroît à son regard sans éclat cet air vague et confus dont souffrent les esprits distraits. Si distrait, notre Comte, qu’il crut bon, autrefois, de recruter l’ancien mercenaire en chef de feu Gorge Raîche, pour diriger son cabinet. Un nommé Déric de Bord que le nouveau roi de Septimanie, le Marquis du Bouquin, ne peut voir en peinture et en pied sans manger sa perruque. Perruque, plumet, chapeau et rosette, que le Prince de Gruissan, en fidèle allié du Marquis du Bouquin, s’est empressé de faire avaler à Labatout en lui demandant la tête et le reste de ce vulgaire et insolent mercenaire. De cette « décapitation » dépendait une pluie d’abondance ou une raréfaction  organisée de subventions du Royaume de Septimanie au Comté de Narbonne. Ce fut fait. Promptement ! Une exécution sans remords, qui colore du « sang » de la victime le cynisme de cette profession de foi prononcée par le sieur Bodorniou un soir d’ivresse et de grand barnum médiatique : « Parce que le monde change et que notre conception de la politique doit changer. Parce que nous croyons qu’il est possible de concilier éthique et politique… ». Une conciliation de l’éthique et de la politique dont se daubait son ancien maître, Gorge Raîche, et qu’ incarne son nouveau souverain, le sieur du Bouquin, en traînant derrière lui la cape d’infamie d’une condamnation à de la prison avec sursis pour délit de favoritisme…

Ton ami, le Grand Duc, mon oncle, celui dont tu ne cesses de louer la grandeur, note, dans ses maximes, que « la plupart des hommes ont , comme les plantes, des propriétés cachées que le hasard fait découvrir. » Malheureusement, je constate qu’en ces terres narbonnaises le hasard se fait rare et semble réserver sa grâce à d’autres esprits que ceux qui présentement nous gouvernent. A moins que leurs propriétés cachées ne lui soient irrémédiablement inaccessibles ; ce qui revient au même et nous garantit, hélas !, un avenir d’une écrasante médiocrité. Reste à espérer de la Providence qu’elle en détourne le cours, elle qui prit plaisir à bronzer les hommes aux Grandes Indes, comme le fait ironiquement remarquer ce Monsieur Voltaire. Prions, mon Oncle. Prions !

Ton dévoué neveu. 

 

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Commentaires (1)

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    raynal

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    Ce sieur de La Natte dont tu nous entretient si joliment doit desormais avoir dans l’oreille maintes sonneries, sifflements et musiques diverses…Tu vas le rendre mélomane s’il ne l’etait déjà.

    Voici donc, si j’ai bien compris ton propos un Albert Londres de sous prefecture, un Seguelà sans Rollex qui a mis desormais ce qui lui tient lieu de plume au service des puissants de ces lieux.

    Tu sembles le poursuivre de ta vindicte avec beaucoup de tenacité…Voudrais tu donc lui couper sa queue de cheval et t’en faire un trophée tel Sitting bull autrefois le scalp du général Custer ?

    Mais vrai, tout cela est d’une folle drolerie…Encore bravo !

    Si tu continue ainsi le quidam en question ne pourra plus sortir de chez lui sans susciter l’hilarité générale, ce qui lui permettra de connaitre enfin un succès que son talent ((si j’ai bien
    compris) ne lui eut jamais permis.

    Il te devra de passer ainsi a une relative postérité, je ne suis pas certain qu’il ne s’en serait pas volontiers passé.

    Quand aux autres protagonistes de cette nouvelle commedia d’ell arte septimanienne, ils resteront les pitoyables héros d’une pantalonnade dont nous pourrions emprunter le titre a ce Kundera que
    nous aimons tant…

     »le livre du rire et de l’oubli »

    A toi, Saint Simon et Souffrez, monsieur qu’on vous salue…

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