De la banalité du Mal : « La Zone d’intérêt » (2024), un film de Jonathan Glazer.

Ma.6.1.2024

Dimanche au cinéma.

« La Zone d’intérêt* » (2024) de Jonathan Glazer.

C’est l’été. Il fait beau. Rudolf Höss, sa femme Hedwig et leurs enfants ont fini de déjeuner sur l’herbe, au bord d’une rivière. Avec eux, pour les servir, leurs domestiques polonaises. On se baigne, on joue, on rit. Le doux chant d’un oiseau ponctue cette scène bucolique et joyeuse. L’heure avance, il est temps de rentrer, rejoindre la maison que Rudolf Höss, qui commande le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, et sa femme ont aménagée. Une coquette maison, avec un grand jardin fleuri, une piscine et une immense serre, située à deux pas de l’entrée du camp de concentration.

Un mur d’enceinte hérissé de barbelés longe leur terrain. De la présence du camp où moururent plus de 1,1 million de personnes, dont près d’un million de Juifs, au cours de la Seconde Guerre mondiale, seuls peuvent s’apercevoir les hauts des baraquements et quelques cheminées crachant d’épaisses fumées noires. On entend aussi un bruit sourd, un grondement de fond infernal lié aux invisibles fourneaux voisins. À ce bruit se mêlent parfois des cris étouffés, des rafales de mitraillettes.

Jonathan Frazer, en centrant son propos sur les préoccupations quotidiennes de cette famille, sa vie domestique, ses fêtes ; les faits et gestes, les ordres de Sandra Hüller en maîtresse de maison, préoccupée par le ravitaillement ou la scolarité de ses enfants, nous ferait presque oublier l’usine à tuer et ses victimes, invisibles de l’autre côté du mur. Un point de vue qui prend à partie les spectateurs pour les inviter à s’interroger sur la banalité du mal et notre capacité de déni. Comme notre propension à l’indifférence et à l’oubli, face aux horreurs constatées dans notre voisinage et aux portes de l’Europe, en Ukraine et ailleurs dans le monde.

Jonathan Frazer accroit encore notre malaise dans cette dernière scène où il nous montre une grande salle du musée d’Auschwitz baignée d’une lumière froide dans laquelle œuvrent deux femmes de ménage. C’est le soir. L’une passe l’aspirateur – bruyant –, l’autre, montée sur un escabeau, nettoie à la main les immenses baies vitrées qui courent sur toute la longueur de cette pièce ; des baies derrière lesquelles sont entassées des montagnes informes de chaussures et de vêtements. Une scène de vie banale du quotidien de ces deux femmes. Deux femmes qui font consciencieusement leur travail dans ce lieu clos et plein des restes d’une entreprise d’extermination de masse. À quoi, à qui, pensent-elles ? À leurs enfants, aux difficultés de leurs ménages… à leurs chefs de service, à leurs conditions de travail ? Un questionnement, un malaise qui depuis dimanche ne me lâche plus…

*La « Zone d’intérêt » désignait dans le langage du nazisme la zone de 40 km2 qui entourait le camp d’Auschwitz, en Pologne.

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