Des amis, du confinement et de la distanciation sociale selon Schopenhauer…

 

Ce matin, j’ai lu une heure ou deux, Schopenhauer. Ces « Aphorismes sur la sagesse » précisément ! Comme chez tous les grands sceptiques, l’ironie perce sous ses « considérations » morales. Et avec lui, on est gâté ! « Le monde ne devrait pas exister ». Boum ! Rien ne lui échappe. Il ponce, râpe à fleur de sentiments et de mots. Paradoxalement, ça me donne de l’énergie ; il m’aide à supporter les malaises, inquiétudes et hypocrisies sociales, qui font l’ordinaire de nos vies. Surtout en ce moment. Pour tout dire, je le trouve très réjouissant. Je suis sérieux ! C’est en outre un grand styliste; ce qui augmente le plaisir de lecture. Je disais donc que, ce matin, j’ai refermé son « traité de la vie heureuse » – oui, oui !– sur le chapître consacré à l’amitié. Où, d’emblée, il nous avertit qu’au lieu de l’estime et de l’amitié véritables, ce sont plutôt leurs « démonstrations » et leurs « allures » imitées, qui ont cours dans le monde. Comme « le papier-monnaie en place d’argent » ! Et qu’il fait plus confiance dans un brave chien quand il remue joyeusement sa queue. Il est vrai que l’égoïsme de la nature humaine est tellement opposé à l’amitié, qui elle-même présuppose un accord désintéressé au bonheur et au malheur de l’autre, qu’on peut se demander si elle existe véritablement et « en quelque lieu » que ce soit. Finalement, il en vient à penser que la meilleure occasion pour éprouver la sincérité d’un ami, c’est le moment où on lui annonce le malheur qui vient de vous frapper. Encore que, énonce-t-il, il faut se méfier. L’expérience démontre en effet que : «Dans l’adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas.» (La Rochefoucauld). Quant aux amis que nous ne voyons plus et qui seraient les plus chers, l’éloignement et la longue absence les évaporent : ils deviennent de vagues notions abstraites et notre intérêt pour eux une seule affaire de raison. Enfin , pour clore sa liste, il expédie très vite les « amis de la maison » en faisant observer que, comme les chats, ces amis là sont plus attachés à la maison qu’au maître. Cela dit, l’aimable – enfin , pas tant que ça ! – Arthur convient qu’à certaines relations peuvent être additionnées – c’est son expression – «un grain» de cette amitié véritable et sincère que j’ai évoquée un peu plus haut. Ce qui n’est pas rien dans ce monde où, si nous entendions la plupart de nos connaissances parler de nous en notre absence, nous ne leur adresserions tout simplement plus la parole. Je me demande d’ailleurs ce que Schopenhauer dirait aujourd’hui de cette nouvelle catégorie contemporaine d’amis : ces virtuels qui foisonnent sur Facebook, notamment. Certainement rien de bon, lui qui déjà pratiquait la « distanciation sociale » qui nous est aujourd’hui imposée. Une certaine forme de confinement aussi, d’ailleurs. On raconte en effet que Schopenhauer avait appris à son chien à faire les courses. Il se nommait Atma, « âme du monde» en sanskrit. C’est tout dire ! Atma avait donc trois paniers à sa disposition. Le premier était destiné au boulanger, le second au boucher et le dernier à l’épicerie. Et quand il rentrait des commissions, si quelqu’un le suivait, il s’arrêtait ; et ne bougeait plus. Un geste barrière en quelque sorte, déjà…

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