Dimanche au cinéma : « L’enlèvement » de Marco Bellochio.

Ma.7.11.2023

Le 23 juin 1858, à dix heures du soir, la police pontificale fait irruption au domicile de la famille Mortara, dans le quartier juif de Bologne, ville soumise à l’autorité du pape. Les huit enfants sont tirés du lit, et les parents apprennent que l’un d’entre eux, Edgardo, âgé de 6 ans, a été secrètement ondoyé quelques mois après sa naissance par leur servante catholique qui le croyait en danger de mort (L’ondoiement est une sorte de baptême d’urgence qui peut être administré par n’importe quel chrétien.) De ce fait, le Code de droit canonique impose que, puisque baptisé, Edgardo doit recevoir une éducation catholique. Il ne peut donc plus demeurer dans sa famille juive, sauf si elle se convertit. Conduit à Rome, l’enfant est élevé à la Maison des catéchumènes, pour y suivre un enseignement religieux pendant environ deux ans, au terme duquel l’ondoiement d’Edgardo sera confirmé par la réception des trois sacrements de l’initiation chrétienne : baptême, confirmation et eucharistie, en présence du pape Pie IX. L’enlèvement d’Edgardo, sa séquestration et sa conversion forcée, suscite une vive émotion au plan international et la conduite de l’Église est tout aussi vivement critiquée.

Dans ce film esthétiquement somptueux où les personnages vivent et agissent dans une lumière inspirée du Caravage, Marco Bellochio, paradoxalement, nous dévoile et met à nu la force, la brutalité et la puissance d’une Église où l’antisémitisme est pensé et pratiqué comme une vérité d’évangile. Une Église qui, dans ses États pontificaux où elle règne sans partage, comme à Rome où les représentants des juifs sont sommés de se mettre à genoux devant le pape, seuls les juifs qui cessent de l’être, de gré ou de force, sont tolérés.

J’ai vu ce film dimanche et je n’ai pu en parler pendant les heures qui ont suivi ma sortie du Théâtre-Cinéma. Un sentiment d’étouffement et de colère rentrée m’avait rendu aussi muet que la veille devant ma mère pour qui je ne suis plus désormais qu’un inconnu parmi d’autres. À présent, les mots viennent et s’accordent avec les images de cet « Enlèvement » d’Edgardo. Car ce film nous parle aussi d’aujourd’hui et d’un antisémitisme décomplexé et massif qui s’étend et pullule sur nos ondes et nos écrans petits et grands. Les malheurs, les crimes et les pogroms sur cette terre d’Israël, les victimes civiles de l’armée israëlienne à Gaza, tout ça est la faute des juifs, nous expliquent les bonnes âmes. Et leur faute est d’exister. Oh ! cela est plus subtilement distillé, bien entendu, mais la ligne de basse dans ce bruyant et délirant chorus est bien celle-là. Jamais dans le passé, autant que je m’en souvienne, je n’ai imaginé qu’un jour je serais dans la nécessité de devoir écrire ces lignes. Ce film de Marco Bellochio, qui traite finalement de tous les enfermements culturels, idéologiques et politiques, m’a incité à le faire. Je ne pouvais pas, après ce beau moment de cinéma, rester muet et en face en face avec ma seule conscience et les seules images de l’enfermement d’un être aimé.

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27Claude Ferrandiz, Danielle Baylac et 25 autres personnes

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Commentaires (2)

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    KRISDEN

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    Vous aurez de vous-même corriger mon erreur, il faut lire « Quelle que soit la religion ».
    Quant à l’enfermement de la personne que vous évoquiez dans un article précédent, j’avais effectivement pensé qu’il s’agissait de votre mère.
    Cette situation est un moment difficile dans l’acceptation mais il faut garder espoir que ce n’est que l’enveloppe charnelle qui ne communique plus. Les sentiments du cœur ou de l’esprit sont toujours reliés à vous par l’Amour précédemment porté. L’Amour est un lien indestructible même si parfois il fait mal.

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    hélène vanardois

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    Ce film magnifique sorti en ce moment est pour moi un coup de poing ,contre notre lâcheté, notre oubli! tellement d’actualité

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