Il y a une évolution matri… [de nos sociétés] à définir, selon Emmanuel Todd !

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On sait l’attention portée par l’historien et anthropologue Emmanuel Todd à l’éducation, à la famille et à la religion pour comprendre les sociétés contemporaines et les systèmes familiaux tels qu’ils se font et se transforment sous nos yeux, notamment en France.

Dans un entretien  de la « Revue des Deux Mondes » (février avril 2018) réalisé par Sébastien Lapaque, il expose ses principales thèses largement développées dans son dernier livre « Où en sommes-nous ? » [1], publié à l’été 2017.

Un entretien de bout en bout passionnant. J’en ai tiré quelques notes que voici :

 

Sur mai 1968 :

« On se souvient en effet de Mai 68 comme d’un phénomène politique et idéologique associé à une mutation des mœurs. Mais lorsqu’on regarde les choses comme un démographe, on voit qu’elles ont commencé à changer un peu avant : baisse de la fécondité, augmentation des naissances hors mariage, etc. Voilà la nouveauté, dans des pays comme la France ou les États-Unis, dominés par une version particulièrement conformiste de la famille nucléaire depuis le lendemain de la guerre. »

« autant cela ne me gêne pas de considérer que Mai 68 est à l’origine d’évolutions politiques défavorables ‒ je pense à l’élitisme des gauchistes qui m’est immédiatement apparu insupportable et nous a conduits à l’affrontement contemporain entre le peuple et l’élite ‒, autant, sur le plan des mœurs, Mai 68 ne m’a jamais affolé. Ce sont des tendances que l’on observait auparavant. »

Sur la transformation des modèles familiaux :

« Si je laisse mes modèles me ramener à l’idée d’une famille originelle d’Homo sapiens, qui était nucléaire, assez flexible et détendue, j’ai tendance à relativiser les apports de la modernité technologique et économique. Avant même l’irruption des grandes religions universalistes, Homo sapiens a fait de grandes choses, par exemple l’invention de l’écriture, il y a cinq mille ans. Lorsqu’elle consiste à revenir à cette simplicité originelle, l’évolution contemporaine de la famille ne me trouble pas. Même à propos du basculement de l’attitude à propos de l’homosexualité, qui apparaît d’une grande modernité à certains. »

Sur l’émancipation des femmes :

« Un phénomène est nouveau et même tellement nouveau que je ne peux, à son propos, être ni optimiste ni pessimiste. C’est ce que l’on nomme l’émancipation des femmes, que j’évoque à plusieurs reprises dans le livre, et que je voudrais appeler différemment tant il m’apparaît inédit. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous allons assister au dépassement des hommes par les femmes sur le plan éducatif dans la plupart des pays avancés, avec une grande variabilité d’un pays à l’autre. »

« L’ancien modèle de réussite subsiste dans les seules études scientifiques. Les maths et la physique restent des bastions masculins. On peut donner à cela des explications socio-culturelles, mais je ne suis pas persuadé qu’elles fonctionnent. »

« Il est intéressant de poser le débat en termes de générations. Selon toutes les enquêtes d’opinion, les clivages générationnels deviennent des discriminants fondamentaux, autant que les questions éducatives. Cela correspond à ce qu’avait constaté la journaliste américaine Hanna Rosin dans The End of Men (2012). Dans ce livre assez méprisant pour les représentants masculins des classes moyennes et du monde ouvrier, elle oppose des hommes dépassés à des femmes autosuffisantes. Mais elle note avec beaucoup d’honnêteté le reste d’un clivage de classe et une pellicule masculine supérieure de dominants résiduels. Mais ces mâles résiduels, ce sont les hommes de ma génération ! Je ne sais pas si cette pellicule va sauter. »

Sur l’évolution matri… de nos sociétés :

« L’une des tendances lourdes de nos sociétés, c’est la hausse du taux de divorce, l’instabilité conjugale hétérosexuelle et l’augmentation tendancielle des familles monoparentales qui, dans neuf cas sur dix, ont une femme à leur tête et constituent des blocs mère-enfants. »

« Dans une société où les femmes sont dominantes et divorcent plus volontiers que les hommes, l’homosexualité féminine est vraisemblablement un phénomène périphérique, secondaire. Ce qui est significatif, c’est la proportion de mères seules, c’est-à-dire d’enfants qui sont dans une situation matriarcale de fait, même si, encore une fois, je n’aime pas ce mot et je voudrais qu’on en trouve un autre. Il y a une évolution matri… à définir. Je ne me permettrais aucunement de dire que c’est négatif, mais à ce stade de la recherche, je ne peux pas dire où vont nos sociétés, j’en suis incapable, sinon qu’elles vont vers quelque chose de nouveau. »

Sur la réémergence de l’Homo sapiens originel, pré-judéo-chrétien et la mutation matri… :

« Il se peut que nous soyons à un moment de l’histoire où la trace religieuse est vraiment en train de disparaître, où l’Homo sapiens originel, pré-judéo-chrétien, commence à réémerger mais pour vivre une mutation « matri ». Une partie de l’explication de ce que l’on vit sur le plan économique et politique ‒ je n’ose pas dire national ‒, ce sentiment d’un rien qui nous environne est sans doute lié à la disparition de l’héritage catholique dans nos sociétés, qui inclut d’ailleurs pour moi, dans une totalité dialectique, sa négation laïque et républicaine. C’est sans doute cela, ce vide, le fondement anthropologique et religieux de la mutation macroniste. »

 

[1]  Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine, Seuil, 2017.

       

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