Inondations: comment l’Aude fait face. Un reportage de Guillaume Mollaret.

Cet automne, la façade méditerranéenne française a été touchée par une quinzaine d’épisodes de pluies diluviennes. Durement éprouvées, les populations apprennent à vivre avec le risque. Ci dessous le reportage de Guillaume Mollaret, publié dans le Figaro (son édition abonnés):intemperies14h45

«Tu veux une nouvelle carte de visite d’expert d’assurés ou je la mets à la poubelle?» Danielle Mallet n’y va pas par quatre chemins pour dire ce qu’elle pense. Quelques secondes auparavant, cette adjointe au maire de Portel-des-Corbières (Aude) venait de renvoyer, courtoise et ferme, ce professionnel chargé de défendre les intérêts d’un assuré face à l’expert de sa propre assurance. «Des vautours!», résume la pétillante grand-mère, sans autre forme de procès. Proprement chassé de la mairie, notre expert d’assuré ne devrait cependant pas chômer…

Les pluies diluviennes qui se sont abattues sur l’Aude le week-end dernier1 ont fait des dégâts matériels importants qu’il est trop tôt pour chiffrer. À Portel, une trentaine d’habitations ont subi les humeurs de la Berre. Si les rues ont été nettoyées à grandes eaux avec l’aide des pompiers, les traces de l’inondation sont encore visibles devant certains foyers. Rue de l’Horte, en bas de la Grand-Rue, aspirateur, frigo et appareils électroménagers en tous genres attendent sur le trottoir.

À l’instar de nombreux villages du Midi, Portel-des-Corbières ne découvre pas la pluie. Depuis 1982, 97 % des communes du Languedoc-Roussillon2 ont été au moins une fois déclarées en état de catastrophe naturelle pour inondation. Lors de l’achat d’un appartement ou d’une maison, les actes notariés stipulent si le bien a été inondé lors de précédents épisodes. Bien des municipalités ont en effet laissé bâtir là où seuls des roseaux ont droit de cité.

Plan communal de sauvegarde

Prévenues, les populations vivent avec ce risque qui rythme leur automne à une cadence particulièrement soutenue ces dernières semaines. Naguère baptisé «épisode cévenol», ce phénomène de la rencontre entre une masse d’air froid venue de l’Atlantique et des eaux chaudes de la Méditerranée formant des nuages qui s’abattent sur les montagnes méridionales et leur plaine n’est plus réservé au Gard et à l’Hérault Les météorologues lui préfèrent désormais le terme d’«épisode méditerranéen». Entre le 29 septembre et le 30 novembre, Predict Services (filiale de Météo France et Airbus) a ainsi dénombré une quinzaine d’événements sur la façade méditerranéenne française, principalement en Languedoc-Roussillon.

«D’ordinaire, on observe plutôt deux ou trois épisodes par an dans un ou deux départements. Cette année, ce sont l’ensemble des départements littoraux qui sont touchés», explique Karine Moreau, directrice du développement de cette entreprise qui a fait sa spécialité de la prévision météorologique de précision et l’aide à la prévention des crues pour les collectivités. D’aucuns y voient la main du réchauffement climatique, mais le phénomène a toujours existé. En 1940, 1000 mm (1 mètre! soit quatre fois plus que le week-end dernier) d’eau s’abattent sur les Pyrénées-Orientales. On déplore plus de 300 morts.

Mais, dans ce domaine comme ailleurs, l’expérience ne protège pas toujours du drame. Un septuagénaire est mort ce week-end à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) alors qu’il tentait de traverser une rivière en crue à bord de sa voiture. Cinq autres personnes avaient trouvé la mort dans des circonstances similaires deux semaines plus tôt dans le Gard et en Lozère. Depuis 2005, la plupart des communes sont astreintes à un plan communal de sauvegarde. À Durban-Corbières, une quinzaine de kilomètres en amont de Portel, une des caractéristiques de ce plan se manifeste par des messages diffusés via des haut-parleurs se trouvant dans les rues du village. Ils appellent la population à rester chez elle, ou à évacuer les lieux suivant l’avancée de la situation. Tous les quarts d’heure, des sondes mesurent la hauteur de la rivière, permettant ainsi d’anticiper les crues. À Sigean, commune tout à l’aval de la Berre, c’est par SMS ou par appel téléphonique qu’un message vocal alerte les populations censées être les plus exposées. Globalement, le système fonctionne, ce qui n’empêche pas les ratés.

«Dans la nuit de samedi à dimanche, j’ai veillé jusqu’à 2 heures du matin avec ma femme. Je n’ai pas reçu de message. Il paraît que les pompiers sont passés à 5 heures avec des porte-voix pour nous prévenir et nous demander d’évacuer. Je n’ai rien entendu», soutient un habitant du quartier de la Clause qui, «pour ne se fâcher avec personne», veut garder l’anonymat. Bilan: deux voitures inondées pour ce chef d’entreprise qui a appris l’inondation de son village en allumant son téléviseur. «J’ai vu le maire parler sur BFMTV. J’ai de suite ouvert les volets.» Stupeur: la rivière a fait de la rue son lit. À Sigean, 250 personnes ont été évacuées de leur domicile, de façon préventive ou par hélitreuillage. À l’image de nombreux voisins, ce riverain n’a pas souhaité quitter sa villa.

Des pompiers aguerris

«C’est dramatique, mais la plupart des gens, bien qu’ils aient déjà connu des inondations, rechignent à quitter leur domicile», constate Jean-Pierre Cirès. Lieutenant au sein des sapeurs-pompiers de l’Aude, ce spécialiste du sauvetage en eau vive est également l’ancien maire de Sigean. Son constat est net: «Il faut, dans les écoles, que l’on sensibilise les enfants au risque de l’eau pour qu’ils le rapportent à la maison.» C’est un fait, les décès constatés lors des crues cet automne ont tous concerné des automobilistes et leur famille. «Dimanche matin à Sigean, on a sauvé un couple qui voulait aller voir dans quel état se trouvait son poulailler. La voiture n’a pas fait 50 mètres avant d’être emportée. C’est un voisin qui, depuis chez lui nous a appelés à la rescousse. Nous avons appris du passé. Sans ce retour d’expérience, sans doute que ces personnes seraient mortes», poursuit le pompier.

Particulièrement aguerris, les pompiers de l’Aude ont appris des inondations mortelles de 1992 et 1999, où l’on avait, pour les dernières, déploré 36 morts, 28 ponts arrachés et 224 communes sinistrées. «Après 1992, nous avons formé des sauveteurs surface et eau vive en nous formant auprès de clubs de canyoning et de rafting. Nous sommes aujourd’hui une soixantaine de spécialistes», poursuit le lieutenant Cirès. «Après 1999, nous nous sommes spécialisés encore pour devenir sauveteurs aquatiques. Nous sommes quatre dans chacune des 48 casernes du département et nous bénéficions d’un matériel adapté.» De plus, grâce au travail effectué par les villes dans le cadre de leur plan communal de sauvegarde, ces «soldats de l’eau» ont appris à se positionner en des points stratégiques pour intervenir au plus près de zones potentielles de danger. «La prochaine étape est de nous équiper de drones afin de pouvoir procéder à des vérifications sans mettre nos hommes en danger.»

Les pompiers de l’Aude ont pour patron un homme aux qualités reconnues sur le plan international. Expert européen régulièrement appelé en mission à l’étranger (tremblement de terre en Haïti, tsunami en Indonésie…) le colonel Henri Benedittini aimerait que la métropole prenne exemple sur les systèmes d’alerte mis en place dans les Territoires français d’outremer. «On devrait s’inspirer de la philosophie ultramarine dans le cadre des alertes cycloniques. Car la situation peut changer du tout au tout très vite. Il y a beaucoup d’eau et très rapidement. On pourrait penser à un plan en trois étapes: interdiction de circulation, évacuation des populations sensibles et confinement», plaide le colonel audois. Dans les faits, on agit déjà ainsi dans certaines communes grâce à un recensement des personnes vulnérables, mais la formule n’est pas généralisée. «Si les consignes sont globalement respectées, il y en a toujours qui ne semblent pas avoir conscience du danger», regrette le pompier.

Des centaines de millions d’euros pour lutter contre les inondations

Les particuliers ne sont cependant pas les seuls à être montrés du doigt. L’État et les collectivités sont également visés. À Durban-Corbières, la municipalité s’apprête à porter plainte contre X pour «mise en danger de la population». Selon le maire, Christian Gaillard, «il y a des fautes dans la gestion de la Berre. Le lit n’est pas bien entretenu».«On le voit sur les photos après les inondations de 1999, ils ont mis de la terre végétale pour retenir les berges. Le résultat, c’est que c’est tellement ensablé que dès qu’il pleut, ça déborde!» dénonce Yvan Jasse, un agriculteur qui a perdu 200 oliviers dans les pluies du week-end dernier. À Sigean, la Réserve africaine, un terrain de 300 hectares accueillant quelque 3800 animaux, a subi également de lourdes pertes, avec la mort d’antilopes, de gnous, d’impalas et de crocodiles nains femelles recensés comme «les derniers spécimens d’Europe», assure Jean-Jacques Boisard, président d’un parc embauchant 100 personnes. Lui avait porté plainte avant le dernier épisode pluvieux.

Son problème, c’est une digue, rompue en 1999, qui n’a pas été reconstruite à l’identique. «Depuis, on se sert du parc comme d’un champ d’expansion des crues puisqu’il manque 1,30 mètre de mur par rapport à l’autre rive.» Dans les deux cas, c’est le syndicat intercommunal d’aménagement du bassin de la Berre qui est visé à mots couverts. Son président, Jean-Claude Montlaur, maire d’Albas, se défend: «Je fais avec les moyens que l’État m’accorde! Lorsqu’on me dit qu’on doit arrêter des travaux parce qu’un oiseau protégé niche près de la rivière, eh bien j’arrête les travaux. Même si je pense que la protection des populations est plus importante que le rollier d’Europe!»

En Languedoc-Roussillon, ce sont des centaines de millions d’euros qui sont engloutis dans la lutte contre les inondations. Ville aux trois quarts construite en zone inondable, Nîmes (Gard) va consacrer, dans les six ans, 120 millions d’euros à cette cause. Une somme qui s’ajoute aux 120 millions déjà dépensés entre 2007 et 2013. À Portel-des-Corbières, l’expert d’assuré peut continuer de taper à quelques portes. Les remboursements liés aux catastrophes naturelles en France pourraient cette année atteindre les 2 milliards d’euros.

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