La vie des autres…
Moment de vie.
7 h 45. Devant la fenêtre du salon grande ouverte, je goûtais le calme de la ville, l’air frais et l’odeur des mélias vivifiée par une brève, mais bienheureuse averse. Les martinets fusaient en criant au ras des façades et les deux hirondelles, nichant sous les chéneaux de mon toit, allaient et venaient, gracieuses et agiles. Au même moment, la jeune femme du premier étage de l’immeuble voisin, descendait son large escalier extérieur d’un pas lent, souple et assuré. Elle portait sur son bras gauche son petit garçon.
Toujours très élégante, une robe courte serrée à la taille, discrètement colorée, couvrait son corps fin et léger. À mi-course, elle s’est arrêtée pour embrasser son enfant tout en lui caressant de sa main libre sa petite tête couverte d’abondants cheveux blonds. En se retournant, pour continuer sa descente, elle m’a adressé un discret signe de reconnaissance. J’ai cru deviner un sourire. Pour l’heure, je la vois traverser la rue pour se diriger vers la crèche toute proche. Je sais que Charlie est le prénom de son fils, mais je ne connais pas le sien. Ni celui de son compagnon, qui, en semaine, travaille à Toulouse. Tous les trois font vraiment plaisir à voir. Ils forment une jeune famille courtoise et épanouie. Je me disais, en la suivant du regard jusqu’à ne plus la voir, que ces rares images pouvaient constituer le début d’une histoire : la mienne puisque je ne connaissais pas la leur ; que je pouvais à ma guise leur donner un passé et conduire leur vie, imaginer, pour chacun d’eux, un destin. Il y a dans l’acte d’écriture, pensais-je aussi, un impensé violent, une jouissance à s’approprier des vies qui ne demandent rien d’autre qu’à suivre « naturellement » leur cours. Mais n’est-ce pas ce que nous faisons quotidiennement : interpréter, imaginer, donner un sens à ce qui nous est à jamais inaccessible : la vie des « autres » ; des plus proches aux plus lointains.
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