Lecture d’été, et d’à propos. Rhinocéros: l’allégorie d’un totalitarisme rampant…

Contreregards-Durers

Sur une suggestion de mon ami Alexandre Moatti, l’intégralité¹ (format PDF) de la nouvelle « Rhinocéros » (1959), du maestro Ionesco. L’allégorie d’un totalitarisme rampant. À lire et relire.


L’entame:

« Nous discutions tranquillement de choses et d’autres, à la terrasse du café, mon ami Jean et moi, lorsque nous aperçûmes, sur le trottoir d’en face, énorme, puissant, soufflant bruyam­ment, fonçant droit devant lui, frôlant les étalages, un rhinocéros. A son passage les prome­neurs s’écar­tèrent vivement pour lui laisser le chemin libre. Une ménagère poussa un cri d’effroi, son panier lui échappa des mains, le vin d’une bouteille brisée se répandit sur le pavé, quelques promeneurs dont un vieillard, entrèrent pré­ci­pitam­ment dans les boutiques. Cela ne dura pas le temps d’un éclair. Les promeneurs sortirent de leurs refuges, des groupes se formèrent qui suivirent du regard le rhinocéros déjà loin, commentèrent l’événement, puis se dispersèrent.

Mes réactions sont assez lentes. J’enregistrai distraitement l’image du fauve courant, sans y prêter une importance exagérée. Ce matin-là, en outre, je me sentais fatigué, la bouche amère, à la suite des libations de la veille : nous avions fêté l’anniversaire d’un camarade. Jean n’avait pas été de la partie ; aussi, le premier moment de saisissement passé :

– Un rhinocéros en liberté dans la ville ! s’exclama-t-il, cela ne vous surprend pas ? On ne devrait pas le permettre.

– En effet, dis-je, je n’y avais pas pensé. C’est dangereux.

– Nous devrions protester auprès des autorités municipales.

– Peut-être s’est-il échappé du Jardin zoologique, fis-je.

– Vous rêvez ! me répondit-il. Il n’y a plus de Jardin zoologique dans notre ville depuis que les animaux ont été décimés par la peste au XVIIe siècle.

– Peut-être vient-il du cirque ?

– Quel cirque ? La mairie a interdit aux nomades de séjourner sur le territoire de la commune. Il n’en passe plus depuis notre enfance.

– Peut-être est-il resté depuis lors caché dans les bois marécageux des alentours, répondis-je en bâillant.

– Vous êtes tout à fait dans les brumes épaisses de l’alcool…

– Elles montent de l’estomac…

– Oui. Et elles vous enveloppent le cerveau. Où voyez-vous des bois marécageux dans les alentours ? Notre province est surnommée la Petite Castille, tellement elle est désertique.

– Peut-être s’est-il abrité sous un caillou ? Peut-être a-t-il fait son nid sur une branche desséchée ?

– Vous êtes ennuyeux avec vos paradoxes. Vous êtes incapable de parler sérieusement.

– Aujourd’hui surtout.

– Aujourd’hui autant que d’habitude.

– Ne vous énervez pas, mon cher Jean. Nous n’allons pas nous quereller pour ce fauve.

Nous changeâmes de sujet de conversation et nous nous remîmes à parler du beau temps et de la pluie qui tombait si rarement dans la région, de la nécessité de faire venir, dans notre ciel, des nuages artificiels et d’autres banales questions insolubles.

Nous nous séparâmes. C’était dimanche. J’allai me coucher, dormis toute la journée : encore un dimanche de raté. »…

La suite en cliquant sur le lien ci-dessous.


¹Nous discutions tranquillement de choses et d’autres, à la terrasse…

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