Moment de vie : « il ne suffit pas d’être jeune et jolie pour être belle. »
La première fois que nous l’avons rencontrée, l’hiver dernier, c’était devant une caissière du Monoprix de la place de l’Hôtel de Ville. Nous attendions qu’elle règle le montant de ses petits achats, pour passer notre tour. Aux mouvements fébriles de ses mains plongées dans son sac et de ses hochements de tête attristés, nous avions vite compris qu’elle avait oublié son porte monnaie. Malgré sa gêne et son refus, nous avons finalement payé sa créance – une somme dérisoire ! – à l’employée de ce grand magasin, que nous connaissons à force d’habitude.
On y retrouve d’ailleurs souvent les mêmes personnes, aux mêmes heures, et les salariés de cet établissement, du reste peu nombreux, deviennent vite aussi des « relations » de voisinage : comme dans les épiceries d’autrefois ! De sorte que sans avoir jamais eu l’occasion de mettre un nom et d’échanger quelques mots avec cette dame âgée dans la peine, nous l’avions déjà remarqué se déplaçant avec souplesse et élégance dans les rayons : sa canne ajoutant de la fermeté à sa mince silhouette. Bref ! le lendemain, elle nous attendait comme convenu au même endroit pour nous rembourser et Simone est devenue depuis notre amie.
Simone a 94 ans ! et la regarder, simplement la regarder, est un vrai bonheur ; un vrai bonheur auquel s’accorde un authentique réconfort moral, aussi. C’est la réflexion que je me faisais en ce début de semaine où nous nous sommes retrouvés à la terrasse d’un café de la même place du centre ville. Pour l’occasion, son fils l’accompagnait. Je lui faisais face et n’ai pu m’empêcher de lui dire, à haute voix, à quel point l’avoir auprès de nous, me remplissait de joie. La pudeur cependant m’interdisait d’aller au delà de cet amical louange. Comment faire, en effet, l’éloge de son lumineux visage, celui de ses gestes gracieux ; vanter son souci de toujours présenter à autrui une noble apparence, sans trop altérer la sincérité de notre relation ?
Tandis que je songeais à ces phrases que je pouvais écrire, tournait autour de nous une population grouillante de touristes fuyant les plages du littoral balayées par un vent du Nord violent soufflant par rafales. Leur nombre, leur masse – sous tous rapports –, leurs « débraillés » modifiaient radicalement la figure sévère et distinguée de ce coeur de ville. Devenu lourd, laid et bruyant, seuls de rares éclairs de beauté lui redonnaient pour quelques fugaces instants son caractère familier et ses « couleurs » habituelles. Sans doute Simone pensait elle ainsi qui, de sa voix légère, me fit gentiment remarquer que « tous ces gens étaient bizarrement accoutrés »… Oui ! grotesquement, murmurai-je. À sa petite et malicieuse pointe d’ironie, j’aurais dû ajouter, mais je ne l’ai pas fait, qu’il ne suffit pas d’être jeune et jolie pour être belle.
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