Moments de vie : Un homme seul à sa fenêtre…
Lu.28.11.2022
Moments de vie.
C’est la pluie qui m’a réveillé. Je me suis levé. La pendule murale de la cuisine affichait cinq heures. J’ai mis en marche la cafetière et attendu que ma dose « passe », debout devant une fenêtre. Toujours la même. La pluie tombait d’une manière régulière. Ni trop forte, ni trop faible. Une perfection de pluie. Personne dans les rues. Il était encore trop tôt pour leur nettoyage. Des flaques de lumière jaunasses brillaient sur les trottoirs et des arbres encore verts, agités par « un petit vent du Nord », quelques feuilles tombaient, elles aussi. Une fenêtre s’est allumée dans l’immeuble voisin. Derrière je savais un homme seul. Il attend chaque matin son infirmière. J’imaginais ses gestes, ses déplacements. Peut-être était-il assis dans son fauteuil, plongé dans de vagues et brumeuses pensées. Le jour, nous échangeons quelques mots sans importance. Il est âgé et fatigué. Il marche d’un pas lourd et s’arrête souvent à la terrasse d’un café voisin. Je l’ai quitté pour aller dans le salon prendre un livre dans ma bibliothèque. C’est une habitude. Je lis deux ou trois pages, prises au hasard, tout en buvant ma première tasse de café. « La femme et l’enfant attendaient dans la gare en cul-de-sac de la petite ville. Après l’entrée du train en gare, le père, un vieil homme avec des lunettes, fit des signes derrière une fenêtre. Il y a bien des années, il avait été un écrivain qui avait eu du succès, maintenant il envoyait aux journaux des doubles de petites esquisses et de petites histoires. En descendant il n’arriva pas à ouvrir la porte du wagon et la femme l’ouvrit de l’extérieur et l’aida à descendre sur le quai. Ils se considérèrent l’un l’autre et finalement furent contents. » Je me suis arrêté un long moment sur ce passage où il est étonnamment question de fenêtre, d’un vieil homme avec des lunettes, d’écriture. J’y ajoute des images d’une arrivée en gare au petit matin ; il fait nuit ; il pleut. Une pluie régulière. Ni trop forte ni trop faible… Lisant et le relisant ce texte, j’ai vite retrouvé le climat sombre de ce roman et le style de son auteur * ; et aussi son art de donner aux petits faits et gestes de la vie quotidienne une dimension tragique, universelle. Le temps de prendre une deuxième tasse de café, j’ai fini par ranger mon livre – ranger est excessif ! Comme d’habitude. La pluie, elle, indifférente, toujours tombait devant ma fenêtre…
*Peter Handke : « la femme gauchère ». Folio : page 76
Illustration : « La fenêtre de mon atelier », vers 1940-1954 de Josef SUDEK – Courtesy Jeu de Paume © Photo Eric Simon
Mots-clefs : Peter Handke
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