Moments d’humanité sur la promenade des Barques…

       

     

Le matin, quand le vent s’est éteint dans la nuit et qu’un ciel uniment bleu couvre la ville au midi, j’aime m’asseoir sur un banc de la promenade des Barques. Je choisis toujours celui qui m’offre la vue la plus large possible sur le quartier de Bourg – celui de mon enfance. Il se prête idéalement à de paresseuses pensées ; j’y suis aussi aux premières loges pour regarder les passants et observer toute la variété humaine que présente une petite ville de province comme la mienne.

Ce n’est pas Rome ou Paris, certes, mais les « types » d’individus qui la composent sont assez communs en ce monde. Ainsi, de cette femme assise sur la rambarde du déambulatoire, qui me tourne le dos. Qu’ai-je besoin de savoir d’autre et d’elle que son corps tout entier plongé dans une profonde rêverie ne me donne à penser ? De cet état, j’en connais les plaisirs et les peines : ils me suffisent à imaginer les siens. Et peu importent leurs insaisissables formes et couleurs : je les sais à portée de mes mains. Comme j’ai perçu douloureusement aussi, l’universelle et violente bêtise de ces deux jeunes femmes parlant haut ; l’une poussait un landau tout-terrain dans lequel reposait un enfant, l’autre tenait une enceinte portative d’où sortait un épouvantable vacarme ; et toutes deux dodelinaient mécaniquement de la tête, à l’image des bras de ces statuettes aux yeux bridés vendues dans certaines boutiques de « déco ». Leurs larges fesses collées à la rambarde, elles semblaient me narguer, à présent. Les fuyant, je savais trouver un peu plus loin ces trois mêmes hommes retraités sur le même banc, à la même place, serrés l’un contre l’autre – ils me salueront d’un petit mouvement de tête. Pour les avoir souvent observés, je sais aussi qu’ils ne se parlent pas. Ils semblent errer égoïstement dans leurs souvenirs. Leurs maigres jambes tremblent ; et leurs yeux tristes suivent les corps de jeunes gens qui montent et descendent les allées. On les entendrait presque pleurer – Indifférents, des pigeons, à leurs pieds, grappillent ou quémandent des miettes ; et des mâles, jabots gonflés et bouffis d’orgueil paradent… Acteurs innocents de cette comédie humaine, j’en ai vu d’autres, ce matin, qui pareillement montraient un bout d’humanité. Une comédie rêveuse et nonchalante, amère et violente, nostalgique et bien vivante qui, malgré tout ce qui me la rend souvent insupportable, ici ou ailleurs, finit toutefois, le temps d’un matin de cette semaine, par me ravir. I

 

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