J’ai croisé Carole, ce matin aux Halles. Je venais d’y entrer, elle en sortait. Masquée et gantée, elle allongeait ses pas, je retenais les miens. Ce sont ses gestes, ses cheveux et ses yeux qui m’ont permis de la reconnaître. Il m’a semblé voir ses lèvres prononcer mon prénom sous son voile de tissu vert plaqué sur le bas de son visage, aussi.
La France Facebook, ce merveilleux pays virtuel dans lequel vivent d’admirables habitants ; dotés de toutes les vertus et de tous les savoirs, ils se présentent à nous, tous les matins, sous les traits d’incontestables, d’imperieux experts en épidémiologie, infectiologie, virologie, logistique… qu’auréolent de surcroît un remarquable sens du sacrifice, une splendide humanité. Ils sont la gloire de ce monde. Loués soient-ils !
Je ne vois qu’eux depuis que nous sommes confinés. Ils sortent matin et soir aux mêmes heures. On les dirait conduits par d’impérieux besoins. Reconnaissables entre tous, ils marchent à pas lents, pour les plus âgés, autour de mon pâté de maisons ; marquent une pause tous les dix mètres, regardent à droite et gauche, devant et derrière, comme s’ils craignaient d’être épiés ; repartent ensuite et font les mêmes pas, les mêmes gestes pour enfin communier avec leurs chiens qui, sur le trottoir, au pied d’un arbre ou sur le gazon fraîchement étalé, y pissent ou y chient abondamment. Ce qui remplit leurs maîtres d’une joie contenue ; mais qu’on devine aisément à des gestes disons attendrissants. Tous les jours ceux-là donc sortent et suivent ce rituel domestique ; et, en toute bonne conscience, garnissent l’espace public des puantes déjections de leurs plus ou moins gros et plus ou moins adorables toutous. L’un deux, à mes remarques, pourtant l’autre jour poliment exprimées, m’a vertement répondu : « Je suis en République, Monsieur !». C’est vrai, nos ancêtres ont fait la Révolution pour cette engeance là aussi. Hélas !
Un ami m’a demandé ce qu’en ce moment je lisais. C’est la question des questions sur les réseaux sociaux ! Je veux dire aujourd’hui et pour des semaines encore. Confinement oblige. Bien qu’on puisse se divertir autrement. Je n’ai pas de préjugés, s’agissant de passer le temps. À chacun sa manière. À cet ami, je lui ai donc répondu : « Rien de la production éditoriale récente ! » Je voudrais que l’on me croit. Et que l’on n’y voit aucune pédanterie. C’est ainsi.
« Comme notre esprit se fortifie par la communication des esprits vigoureux et réglés, il ne se peut dire combien il perd et s’abâtardit par le continuel commerce que nous avons avec les esprits bas et maladifs » Montaigne – toujours. Livre III, VIII page 184-185 de l’édition Villey.