Parler Français !
Je publie ici, avec son autorisation, l’article du jour de mon ami Yves Marchand (que l’on peut lire aussi sur sa page Facebook) :
« J’étais le rapporteur de mon groupe politique (UDF) à l’Assemblée Nationale en 1994 lorsque a été mise aux voix la Loi dite « Toubon » destinée à préserver le Français des attaques brutales ou larvées de l’anglomanie. Je me rappelle avoir émis des doutes sur l’efficacité de cette loi en évoquant le rapport entre la pratique de la langue et la puissance économique de la nation. Je me souviens en particulier avoir précisé que tant que Adidas serait inférieur à Nike, nous n’avions aucune chance de sauver le Français contre l’Anglais et que lorsqu’une marque chinoise supplanterait Nike, on finirait par parler chinois. Je n’avais alors soutenu rien que de très banal : le réalisme des faits, face au rêve de grandeur et à une certaine nostalgie de puissance très 5ème République. Au moment où Huawei est en passe de dépasser Apple, nous sommes confrontés à l’hypothèse d’un changement de paradigme.
Il est vrai que le Français était la langue la plus en vue aux 18ème et 19ème siècles, que l’on parlait français à la Cour de Russie et dans toutes les capitales européennes. Cela correspondait à une période de puissance de la France tant sur le plan démographique qu’économique. Ce rappel confirme ma thèse. Il n’est pas utile de rappeler que cette puissance appartient au passé et qu’elle ne reviendra pas.
Je ne sais pas si nous finirons par parler chinois. Il est plus vraisemblable que notre « Globish » finira par s’uniformiser en un esperanto pratique utilisable sur les 5 continents, dénué de toute racine, adapté seulement à la communication nécessaire à la vie des affaires, aux dialogues elliptiques exigés par les réseaux sociaux, à la mode des derniers produits du marché et renvoyant les interprètes à d’autres études. La langue vernaculaire sera mondiale. Le rêve du Docteur Zamenhof sera réalisé non pas pour créer un instrument de paix entre les nations mais un instrument de guerre commerciale.
Je pourrais souligner un autre aspect de la dégénérescence de la langue en évoquant la manie qui s’est emparée de tous ceux qui véhiculent la langue française d’adopter le langage le plus vulgaire et le plus folklorique en usage dans les banlieues sans doute pour prouver ainsi qu’ils sont « chébrans* ». Et aussi la pratique courante de l’écriture abrégée reflet de l’omniprésence d’internet face à laquelle l’écriture inclusive est une plaisanterie, et tant de sujets qui concernent l’éducation, la culture et la transmission.
Mais, je ne ferais que ressasser. Le seul point important dans ce naufrage de toutes les langues – et pas seulement de la nôtre – c’est l’uniformisation du monde sous la bannière de l’intérêt économique dominant qui a relégué le politique au rang de faire-valoir (cf. chronique du 2 Août 2019).
Nous ne sauverons pas davantage la langue française que la politique.
La politique est ramenée au rang des utilités. La langue, au service des poètes. »
*Remarquer l’accord du pluriel avec un néologisme verlan, pas évident pour tous.
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