« Projet de loi El Khomri, une avancée pour les plus fragiles »! Mais…

la-ministre-du-travail-myriam-el-khomri-et-le-ministre-de-l-economie-emmanuel-macron-lors-des-questions-au-gouvernement-le-26-janvier-2016-a-l-assemblee-nationale-a-paris_5539669

Cette tribune signée par Philippe Aghion, professeur au Collège de France ; Yann Algan, professeur à Sciences Po ; Agnès Bénassy-Quéré, professeure à Paris School of Economics ; Olivier Blanchard, Senior Fellow au Peterson Institute for International Economics ; François Bourguignon, professeur à Paris School of Economics ; Pierre Cahuc, professeur à l’Ecole polytechnique … notamment. Publiée dans « le Monde », ce jour, elle n’est disponible que dans son édition « abonnés ». Je la livre ici, dans son intégralité…

Le chômage, désormais au plus haut niveau depuis l’après-guerre, ne frappe pas tout le monde de la même manière. Il se concentre sur les jeunes et les moins qualifiés. Un chômeur sur quatre a moins de 25 ans, un sur trois n’a aucun diplôme et 80 % n’ont pas dépassé le bac. Ces publics sont les grands perdants d’un marché du travail qui exclut les plus fragiles ou les relègue dans des emplois précaires, tant les entreprises craignent d’embaucher en CDI. Ces inégalités sont insupportables. En réduisant l’incertitude qui entoure le CDI, le projet de loi El Khomri est de nature à changer la donne : c’est avant tout à ces publics défavorisés qu’elle va donner accès à un emploi durable.

Une réforme d’ampleur est nécessaire. Le code du travail ne donne aujourd’hui aucune définition précise des difficultés économiques justifiant un licenciement, et n’encadre pas non plus le montant des indemnités en cas de licenciement non fondé. Il est devenu une source d’insécurité pour l’entreprise comme pour le salarié, car il laisse au juge un champ d’appréciation qui va bien au-delà de ses compétences juridiques. Aujourd’hui, ni le salarié ni l’employeur ne sont capables de savoir si les difficultés économiques seront considérées comme suffisantes par le juge pour justifier un licenciement. Ils sont également incapables de prévoir précisément le coût des fins de CDI, tant le montant des indemnités octroyées par les prud’hommes relève d’une logique difficilement prévisible. Un salarié dont l’ancienneté est comprise entre deux et cinq ans peut se voir proposer entre un et dix mois de salaire aux prud’hommes si son licenciement est considéré comme non fondé. Cette incertitude est lourde de conséquences pour les salariés autant que pour les entreprises, notamment les plus petites, souvent incapables d’affronter de longues périodes de contentieux juridiques en s’offrant les services de cabinets d’avocats spécialisés.

LES CDD, 90 % DES EMBAUCHES

Par crainte d’embaucher en CDI, les entreprises ont massivement recours au CDD, bien au-delà des cas prévus par la loi. Les CDD représentent 90 % des embauches. Les jeunes et les moins qualifiés ne connaissent pratiquement que ce type de contrat, parfois durant de nombreuses années. Or, outre la précarité, les CDD proposent moins de formation professionnelle, offrent des salaires plus faibles, et pénalisent l’accès au crédit et au logement.

Un barème plus précis des indemnités octroyées par les prud’hommes et une définition objective des situations pouvant justifier un licenciement sont de nature à inverser ces tendances. C’est ce que propose le projet de loi El Khomri. L’exemple de l’Espagne devrait faire réfléchir ses détracteurs. Ayant adopté une loi similaire en 2012, ce pays a connu un surcroît de 300 000 embauches en CDI dès l’année suivante. Ces embauches sont surtout le fait de PME pour lesquelles la crainte du conflit prud’homal pèse le plus sur les décisions d’embauche. Ces embauches en CDI ont bénéficié en priorité aux personnes abonnées au CDD, ce qui a permis de réduire les pertes d’emploi.

Pour que la réforme du licenciement devienne un pilier d’un « Jobs Act » à la française permettant d’en finir avec le chômage de masse, il y aurait urgence à la compléter dans plusieurs directions. L’une concerne la formation professionnelle : elle doit être profondément refondée pour devenir opérationnelle, en particulier en instaurant un système individualisé qui laisse l’employé ou le chômeur choisir son prestataire de services de formation. Cela suppose la mise en place d’un système d’évaluation des formations transparent et indépendant. Une autre serait d’améliorer les garanties de revenus pour les chômeurs en formation et la recherche d’un nouvel emploi. Enfin, il faudrait renforcer les avantages des contrats longs, notamment à travers un système de bonus-malus des cotisations à l’assurance chômage incitant les entreprises à privilégier de telles embauches.

En attendant ces réformes indispensables, le projet de loi El Khomri représente néanmoins une avancée pour les plus fragiles. En réduisant fortement l’incertitude attachée à la rupture des contrats de travail, il incite les entreprises à revenir vers des embauches en CDI. C’est un moyen de lutter efficacement contre les inégalités et la précarité.


Par un collectif

Philippe Aghion, professeur au Collège de France ; Yann Algan, professeur à Sciences Po ; Agnès Bénassy-Quéré, professeure à Paris School of Economics ; Olivier Blanchard, Senior Fellow au Peterson Institute for International Economics ; François Bourguignon, professeur à Paris School of Economics ; Pierre Cahuc, professeur à l’Ecole polytechnique ; Arnaud Chéron, directeur de recherche à l’Edhec ; Stéphane Carcillo, professeur au département d’économie de Sciences Po ; Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS ; Antoine d’Autume, professeur à Paris School of Economics ; Marc Ferracci, professeur à l’université Paris-II ; François Fontaine, professeur à Paris School of Economics ; Robert Gary-Bobo, professeur à l’Ensae ; Pierre-Yves Geoffard, professeur à Paris School of Economics ; Pierre-Olivier Gourinchas, professeur à UC Berkeley ; Jean-Olivier Hairault, professeur à Paris School of Economics ; Hubert Kempf, professeur à l’Ecole normale supérieure de Cachan ; Francis Kramarz, professeur à l’Ecole polytechnique ; Augustin Landier, professeur à Toulouse School of Economics ; François Langot, professeur à l’université du Mans ; Yannick L’Horty, professeur à l’université Paris-Est Marne-La Vallée ; Thomas Philippon, professeur à New York University ; Richard Portes, professeur à la London Business School ; Hélène Rey, professeure à la London Business School ; Katheline Schubert, professeure à Paris School of Economics ; Claudia Senik, professeure à Paris School of Economics ; Jean Tirole, professeur à Toulouse School of Economics, Prix Nobel d’économie (2014) ; Alain Trannoy, directeur de recherche à l’EHESS ; Marie Claire Villeval, directrice de recherche au CNRS ; Radu Vranceanu, professeur à l’Essec ; Etienne Wasmer, professeur à Sciences Po ; André Zylberberg, directeur de recherche émérite au CNRS.

Mots-clefs : ,

Rétrolien depuis votre site.

Commentaires (1)

  • Avatar

    Didier

    |

    Que n’ont-ils signés cette tribune après le discours du Bourget……..

    Reply

Laisser un commentaire

Articles récents