Quelques notes prises au fil des jours (du 21 au 27 février 2020)…

L’étang de Gruissan, un dimanche de février 2020.

   

Le 27 de ce mois. Il écrit sur sa page Facebook : « départ pour les Seychelles », et reçoit des brouettées de « J’aime ». Sitôt arrivé, il nous montre ses photos, qui suscitent une flopée de commentaires et des nuages de « coeurs rouges ». Je me dis que ces îles lointaines sont plus séduisantes dans les brochures des agences de voyages qui les présentent que sur ses photos ; qu’à l’inverse, cet étang de Gruissan est aussi splendide que ce qu’on voit sur la mienne, prise dimanche dernier ; que cet exotisme de luxe du bout du monde, ostentatoirement exposé, est l’expression d’un profond narcissisme, d’une grande arrogance sociale aussi ; et que, finalement, tout cela est d’une grande banalité dans nos sociétés du spectacle marchand permanent…

Ce même jour, à l’entrée des Halles, le marchand de journaux en position foetale dans sa guérite. Il tombe une pluie fine. Quel sale temps !, me dit-il, en faisant la grimace. Je lui réponds que la moitié de la France est sous la neige et que l’épidémie de conarovirus prend de l’ampleur. Il me regarde, abasourdi, se recroqueville encore un peu plus sur son tabouret au point de ne plus montrer, dans sa lucarne, que le sommet de son crâne – blanc ! Plus loin, devant l’étal de la marchande de fruits et légumes – la seule qui vende des « maltaises » : mes oranges préférées. Elle me demande si j’ai regardé, hier soir, le débat télévisé, sur FR3, où s’affrontaient les quatres têtes de liste en lice sur Narbonne. « Comment vous l’avez trouvé ? Je me suis endormie dès le début, c’est vous dire ! », a-t-elle ajouté. Et moi de lui répondre que j’avais opté pour Arte et un documentaire en replay : les bourreaux de Staline. 

Le 26. J’ai passé deux bonnes heures à marcher sur la plage des Ayguades, jusqu’aux premières habitations de Narbonne-Plage. Une épreuve : je n’étais pas assez couvert et le vent du Nord, glacial, soufflait très fort. Gelé, sitôt rentré, je me couvre d’un bon vieux tricot, et place mon fidèle Schubert, sa sonate No 13 interprétée par S.Ritcher, dans le lecteur de CD. Et dès les premières notes de son Allegro moderato, un doux cocon ajoute de la chaleur à mon bien être à peine retrouvé. 

Le 24. « L’un des secrets de cette sensation de plaisir esthétique que produit la nature, c’est l’absence de l’homme ». Iñaki Uriarte (Bâiller devant Dieu, page 69 chez Séguier)

Le 23. Je feuillette les pages du Journal de Miguel Torga (chez Corti), et tombe sur ceci, page 66, noté le 15 avril 1980 à Coimbra :  » Sartre est mort. Un bienheureux qui avait réponse à tout et qui a fait bombance de tous les malheurs de son temps. Maître d’une intelligence anaérobie, il s’est installé dans la crise des valeurs asphyxiant le monde comme l’administrateur heureux des consciences malheureuses. Et il a vécu soixante-dix-ans de gloire en parasite de l’angoisse. » Curieusement, une foule « d’intellectuels » de notre temps, tout aussi « bienheureux », se présente à mon esprit sans qu’aucun nom n’en fasse oublier tous les autres.

Le 21. Jules Renard écrit ceci, un 5 juin « Monographie de la paresse. – Décrire une journée, et montrer que le cerveau est comme une grosse fleur qu’il faut cultiver tout le matin pour qu’elle s’épanouisse le soir. Et, comme à Paris, on sort surtout le soir, jamais le cerveau n’y atteint à sa maturité complète. A la campagne seulement il peut s’ouvrir tout à fait. Le matin, remuer des journaux, des livres, flairer les idées des autres, écrire des notes du bout de la plume, chercher d’où vient le vent, amener son esprit au point où il a besoin de produire. Enfin, développer cette méthode d’entraînement, de chauffage, avec des mots légers, une langue ni scientifique, ni charabia. »

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