Scène de la vie narbonnaise : Elle était assise sous la véranda de ce bistrot du centre ville…
Elle était assise sous la véranda de ce bistrot du centre ville où je m’étais installé pour y boire une tasse de café noir. Je l’observais, élégante et rêveuse, caresser de ses longues mains les flancs d’une théière blanche tout à fait ordinaire. La froide lumière des néons accentuait la pâleur de son visage et donnait du relief à des traits d’une grande finesse. Dehors, il faisait déjà nuit. Nous étions isolés de l’agitation de la ville par de larges baies sur lesquelles des voitures défilaient, silencieuses, comme dans un film muet ; de sombres silhouettes aussi allaient qui semblaient des fantômes. Cette dame avait été belle, et l’était encore. Ses gestes, son port de tête, ses rides mêmes en témoignaient. Quand elle s’est levée à l’aide d’une canne finement travaillée, nos regards alors se sont croisés. Un petit air de défi et de tendresse mêlée brillait dans ses yeux. Le temps, l’âge et la maladie n’étaient pas son affaire. Fière, elle savait qu’elle serait toujours belle ! Tandis qu’elle s’approchait de la sortie, à la table voisine, un homme indifférent et gris lisait ligne à ligne chaque page d’un journal froissé par de nombreux autres clients avant lui. Plongé dans une sorte d’hébétude, il n’était plus au monde. Au moment de passer la porte et disparaître dans la nuit, cette dame si digne dont je ne connais rien, m’a adressé un dernier bonsoir : un léger mouvement du corps, une ironique révérence — « Ne te plains donc pas de la solitude. Cette plainte est une flatterie envers le monde ». Dans son sillage, une chaîne d’informations en continue diffusait à voix basse les catastrophes passées et les cyclones à venir. Demain serait un décembre noir !
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GUY-MICHEL CARBOU
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C’est d’une rare poésie. L’atmosphère me fait songer à quelque tableau de Hopper. Une certaine mélancolie, un certain vague à l’âme, une élégante « saudade »…
Merci pour cet instant.
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Michel Santo
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Bonjour Guy-Michel ! En illustration, précisément, ce détail d’un tableau de Hopper (un clin d’œil !) qui représente ce personnage dans une salle de café, seule devant une tasse de thé, peut-être…
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