Souvenirs et variations autour de la Sagrada Familia | Le Blog de Nathalie MP

 

Un texte de mon amie blogueuse Nathalie: Souvenirs et variations autour de la Sagrada Familia | Le Blog de Nathalie MP

Il y a deux ou trois jours, je lisais dans la presse que la Sagrada Familia serait en bonne voie d’être achevée … en 2026. Et je lisais aussi que la police avait fait des perquisitions aux domiciles de Jordi Pujol et ses fils pour fraude fiscale. Jordi Pujol n’est certes pas mondialement connu, mais il fut Président de la Generalitat de Catalogne de 1980 à 2003 et fonda le parti Convergence démocratique de Catalogne(CDC) porteur aujourd’hui de la revendication d’indépendance de cette région. Ca n’apparait pas dans ma page « A propos », mais j’ai vécu trois ans à Barcelone, à l’époque des Jeux Olympiques de 1992, et la mention du projet titanesque de l’architecte catalan Antoni Gaudí, suivie de celle de Jordi Pujol, a fait remonter une multitude de souvenirs variés et colorés de cette époque en Catalogne, presque trois ans de vacances pour moi.

Outre le fait d’être un homme manifestement assez peu scrupuleux avec l’argent des autres, comme en attestent ses ennuis avec le fisc espagnol et la faillite scandaleuse de la Banca Catalana (qui coûta 1,6 milliards d’euros au contribuable espagnol, oubliée l’indépendance !) Jordi Pujol a orienté toute son action politique en faveur de l’indépendance de la Catalogne et de la langue catalane. Il y eut des périodes où l’espagnol n’était même pas enseigné dans les écoles, ce qui fit les beaux jours de tout ce que Barcelone comptait de Lycée français, écoles américaine, italienne etc…

Gonflé de l’importance de son « pays », Jordi Pujol avait bâti une grande campagne de promotion de la région autour du slogan « Som sis millions » c’est-à-dire « Nous sommes six millions ». On raconte, mais peut-être n’est-ce qu’une légende des ramblas, qu’en visite à Pékin il n’oublia pas d’informer fièrement le Président chinois de cet accomplissement magnifique et s’attira pour toute réponse : « Ah bon ? Et vous êtes descendus à quel hôtel ? »

Palau de la Musica Catalana

La catalanité moderne s’est construite en opposition au franquisme et s’exprima d’abord dans la clandestinité. Les hauts lieux de la résistance étaient le Monastère de Montserrat, perché sur les contreforts des Pyrénées, et le Palau de la Música Catalana, incroyable et superbe salle de concert typique du modernisme catalan, version barcelonaise de l’Art nouveau (photo ci-dessus). La Catalogne a une très vive tradition musicale, notamment via de nombreux choeurs masculins. Pendant la dictature, les répétitions abritaient des réunions politiques derrière les partitions.

J’ai eu la chance d’assister à un récital de chansons catalanes donné par Montserrat Caballé au Palau de la Música. Au moment précis où elle a ouvert la bouche et les bras dans une grande inspiration pour commencer à chanter, son micro est tombé par terre. Le petit Jordi Pujol, qui venait de faire un grand discours inaugural, s’est précipité à ses pieds pour le ramasser et toute la salle s’est mise à applaudir dans un grand moment de ferveur catalane. Au-delà de cet intermède cocasse, Montserrat Caballé nous a gratifié ce soir-là de ses dons immenses de soprano, qui lui ont parfois valu quelques petites piques de jalousie de la part de ses consoeurs. Quand on demandait à Maria Callas comment elle faisait pour rester aussi mince, elle répondait que chaque jour elle faisait trois fois le tour de Monserrat Caballé.

Le projet de la Sagrada Familia a émergé à peu près à la même époque que celui du Palau de la Música. Mais compte-tenu du temps nécessaire à la construction, qui a maintenant largement dépassé le siècle, et surtout en raison de la créativité personnelle de Gaudí, associée à une foi profonde, le bâtiment achevé ne sera pas véritablement assimilable au style moderniste de la période 1900. On peut dire, même si c’est bien antérieur au livre de Simone Weil La pesanteur et la grâce, que les efforts de Gaudí sont une tentative, au propre comme au figuré, de renverser la pesanteur pour atteindre la grâce. Il a obtenu ses formes élancées vers le ciel en remplissant des sacs de toile de sable et de glaise et en imaginant ce que ça donnerait si la pesanteur était dirigée vers l’extérieur de la terre.

Si ce projet de basilique consacrée à Saint Joseph et à la Sainte Famille est si lent à aboutir, c’est que son financement est entièrement réalisé par des dons privés. Gaudí lui-même a fait le tour des riches familles de Barcelone pour récolter des fonds. Quand il y a de l’argent dans la caisse, les travaux avancent. Quand il n’y en a plus, ils s’arrêtent. De ce fait, il est parfois nécessaire de procéder au ravalement d’une façade alors que les autres parties ne sont pas encore sorties de terre.

Depuis les jeux olympiques de 1992, qui ont permis à la ville de se doter d’infrastructures modernes à l’échelle européenne, son aéroport par exemple, Barcelone a acquis une importante notoriété touristique. La Sagrada Familia en a profité en devenant l’un des sites les plus visités d’Espagne. Le financement de la construction s’est donc enrichi notablement de la vente des tickets d’entrée, ce qui permet maintenant d’envisager une date de fin de travaux pour 2026. Elle coïnciderait avec le centième anniversaire de la mort de Gaudí. La vidéo ci-dessous (6′ 54″) est un petit reportage sur la Sagrada Familia réalisé par la télévision canadienne en 2011:

La façon dont les jeux olympiques de 1992 ont été préparés sur le plan architectural et urbanistique ainsi que leur parfait déroulement ont confirmé ce que je savais des points forts de Barcelone : un sens aigu aussi bien de l’esthétique que de la fête. Une ville qui savait célébrer chaque année l’Epiphanie dans une atmosphère de liesse populaire et bon enfant en faisant débarquer les Rois mages en hélicoptère dans le port de Barcelone, événement qui réunissait des milliers de personnes dans les rues sans jamais un seul incident, ne pouvait que réussir la plus grande fête de toutes. J’habitais à Barcelone depuis plus d’un an déjà, mais c’est seulement quand les jeux ont commencé que j’ai découvert la ville dans toute sa splendeur. Jusqu’à la dernière minute, tous les sites de travaux de construction ou de rénovation furent cachés par des échafaudages et des bâches de protection, transformant la ville en un énorme chantier poussiéreux. Tout est tombé d’un coup la veille de la cérémonie d’ouverture, les peintures encore fraîches, révélant soudain une Barcelone moderne et accueillante.

Stade olympique de Montjuic

Lors de ces jeux, j’ai assisté à plusieurs épreuves d’athlétisme. Mon souvenir de l’arrivée du marathon féminin est plutôt mitigé. A la fin de la course, les coureuses étaient systématiquement emportées sur des civières ou placées sous oxygène. Il faut dire que l’arrivée avait lieu dans le stade olympique de Montjuic (photo ci-contre) lequel est situé au sommet d’une colline. Malgré tous les encouragements des spectateurs, les derniers kilomètres furent donc très éprouvants. Je préfère me rappeler le prodigieux 400 mètres féminin qui apporta à Marie-José Pérec sa première médaille d’or olympique. Avec un temps de 48″ 85, elle devint ce jour-là la sixième femme à courir un 400 mètres en-dessous de 49 secondes. Comme le montre la vidéo suivante (1′ 42″), notre championne nationale a fait planer le suspens en ne commençant à challenger ses concurrentes que dans la seconde partie de la course :

Je préfère également me souvenir du 100 mètres hommes, « the greatest prize in sport » comme dit le commentateur de la vidéo ci-dessous (1′ 10″). Ce silence au moment du départ, et cette clameur de 10 secondes ! On en a la chair de poule tellement l’effort est bref et fantastique. Le Britannique Lindford Christie remporta l’or en 9″ 96 (le record actuel est détenu depuis 2009 par Usain Bolt avec 9″ 58) :

Mon attachement à Barcelone est d’autant plus fort qu’un de mes fils y est né. Quand je suis arrivée à la maternité pour accoucher, j’ai été reçu par une sage-femme en ces termes : « Me llamo Presen » c’est-à-dire « Je m’appelle Presen ». Drôle de prénom. Typiquement espagnol, en fait. Tout comme on trouve nombre de Pilar (pilier) par allusion à un certain pilier sur lequel la vierge Marie serait apparue, tout comme on trouve nombre de Conceptión en rapport avec l’Immaculée Conception de la vierge Marie, ma sage-femme s’appelait Presen, diminutif de Presentación, en l’honneur de la scène de l’Evangile relatant la présentation de l’enfant Jésus au temple.

Presen était charmante, mais je comptais bien que ce serait mon gentil docteur Amoros, qui veillait sur moi depuis plusieurs mois, qui procéderait à l’accouchement. Eh bien, finalement, non. Une dame fit irruption dans la salle en se contorsionnant pour enfiler une blouse blanche et me déclara : « Bonjour, je suis la femme du docteur Amoros. Il ne peut pas se rendre disponible maintenant, je vais le remplacer. » Stupeur. La femme du docteur ! Et pourquoi pas sa boulangère, ou sa grand-mère ? Je n’avais pas la moindre idée que le docteur Amoros avait une femme, encore moins qu’elle était médecin. Très originale, cette façon de se présenter en omettant le seul crédit qui pouvait m’intéresser. Pas de panique, Balthazar (prénom d’inspiration espagnole) est bien arrivé.

Pour finir cette litanie de souvenirs, j’aimerais dire deux mots, un peu sombres pour une fin, je m’en excuse, de l’indépendance que la Catalogne revendique actuellement par rapport au reste de l’Espagne. C’est dans l’actualité, puisque le Président actuel de la Generalitat de Catalogne doit répondre devant les autorités centrales du référendum non constitutionnel qu’il a organisé il y a un an pour demander l’indépendance, et que de son côté, son parti CDC doit répondre (encore) de malversations dans l’attribution de marchés publics. Peu de temps après la naissance de Balthazar, nous décidons de faire un petit voyage pour visiter l’Andalousie. M’ouvrant de ce projet à une amie catalane, je suis dûment mise en garde : « Te lo digo, Nathalie, fuera de Cataluña, España es Africa. » (Je te préviens, Nathalie, hors de la Catalogne, l’Espagne c’est l’Afrique). Le problème des Catalans, c’est qu’ils ont un mépris exagérément développé pour le reste de l’Espagne. Depuis le jour où j’ai compris cela, j’ai une considération très limitée pour la prétendue noblesse de leur projet d’indépendance, tout en restant follement emballée par la Catalogne et sa belle capitale.


http://www.sagradafamilia.org/#.  

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