Lors d’une confrontation entre André Compte Sponville (A.C-S) et François Jullien sur les conceptions chinoise et occidentale du bonheur, ce dernier disait de Montaigne qu’il était « le plus chinois des penseurs occidentaux ». Pourquoi ? Parce qu’il est un penseur du devenir plutôt que de l’être, « de la vie plutôt que du salut, de la durée plutôt que de l’éternité, du présent plutôt que de l’avenir, de la transition (voire du « procès sans sujet ni fin ») plutôt que du progrès, du réel plutôt que du sens, du « jardin imparfait » plutôt que de l’utopie, enfin du « vivre à propos » plutôt que du bonheur ! », précise André Comte-Sponville à la page 159 de son « Dictionnaire amoureux de Montaigne. ». Comme les Chinois, on peut dire que Montaigne voit toujours un peu de yin dans le yang. Ainsi des plaisirs et des biens que nous avons, « il n’en est aucun exempt de quelque mélange de mal et d’incommodité ». De sorte que l’homme, en tout et par tout, « n’est que rapiècement et bigarrure. » Il dit encore qu’il nous faut négocier en permanence notre rapport aux autres et au monde ; que la seule raison n’y suffit pas, et que tout l’humain est sollicité : « pour l’usage de la vie et service du commerce public, il y peut avoir de l’excès en la pureté et perspicacité de nos esprits » et « Les opinions de la philosophie élevées et exquises se trouvent ineptes à l’exercice. » Ce disant, Montaigne nous met en garde contre ces promoteurs d’absolu et de pureté qui, en politique, voudraient réaliser et imposer à tous le meilleur des régimes. Hier, c’était au nom du communisme, du nazisme et du fascisme ; aujourd’hui, de celui de l’insoumission politique, de l’éco féminisme politique et du national populisme. Pour eux, qui veulent tout et tout de suite, leurs vérités sont un absolu et leurs contradicteurs une incarnation du mal, un ennemi qu’il faut abattre. Or une société ne se change pas par « décret » fut-il philosophique. Et « les lois mêmes de la justice ne peuvent subsister sans quelque mélange d’injustice », ajouterait Montaigne. Par les temps qui courent, sa pensée sans système est d’un grand secours. Elle éclaire « sur ce que nous sommes, sur la vie que nous menons, heureuse ou malheureuse, et sur ce que peut, ou non, la philosophie. » (A.C-S page 181) Sur ce que peut, ou non, la politique.
Marine Tondelier, la cheffe des Verts, hier, à Paris, à la manif sur les retraites a osé : « Plus les riches sont riches et plus les pauvres sont pauvres… » Plus il fait froid et moins il fait chaud, aurait renchéri Sandrine.
À Montpellier, un dénommé Saturnin, SEDF (sans emploi ni domicile fixe) , a volé un fourgon rempli de matériel sur le tournage de la série « Un si grand soleil ». Cinéphile, Il avait froid, s’est-il excusé.
Un homme armé, aperçu près d’une banque à Lodève, s’est rendu au musée de la ville avec une arme de collection. Au dépôt, il a reconnu les faits tout en invoquant son innocence.
Après s’être échappé de la prison de Béziers et fait du stop, à défaut de trains bloqués en gare par des grévistes, ce spécialiste du vol à la tire est finalement monté dans une voiture. Elle était hélas ! conduite par des policiers en civil.
Moments de vie : Avec Guillaume Elner et son équipe du matin sur France Culture.
Ce matin, je me suis levé un peu plus tard que d’habitude. Pendant que je préparais mon petit déjeuner dans la cuisine, j’écoutais la « Matinale » de Guillaume Elner, sur France Culture – déjà bien avancée. Les progrès de la recherche en intelligence artificielle, ses applications concrètes et ses conséquences économiques et sociales, étaient le sujet du jour. Les invités d’Elner contribuaient pour beaucoup à la qualité des échanges. J’écoutais donc attentivement les uns et les autres tout en appréciant la chaleur et les arômes de mon café. Le soleil qui entrait par les grandes baies de la pièce ajoutait au plaisir de l’écoute la douceur de sa lumière. Bref ! J’étais détendu. J’apprenais un « tas de choses » et cela seul me rendait heureux. Jusqu’à ce que l’heure du « journal » sonne. Avec en tête de gondole, bien sûr, la réforme des retraites. La journaliste de service s’est alors longuement étendue sur les manifestations de jeudi, les débats à venir à l’Assemblée Nationale, les rapports de forces politiques… Je commençais à perdre pied quand est venu le moment décisif du micro-trottoir. La perche avait été tendue à un enseignant gréviste très remonté. La retraite à 64 ans était un scandale, s’écriait-il, car ses collègues et lui, à cet âge, seraient trop vieux et de ce fait « coupés » des jeunes générations. Qu’ils ne comprendraient rien aux préoccupations, aux besoins, aux désirs et à la culture de leurs jeunes élèves ; qu’ils seraient en quelque sorte obsolètes. Stupéfait par la débilité du raisonnement qui dynamitait les raisons et les devoirs propres au métier d’enseignant, je me jetai alors inconsidérément sur une dernière tasse de café entre temps devenu hélas tiédasse, imbuvable. Que j’avalai malgré tout au risque d’aggraver des brûlures d’estomac latentes et devenues beaucoup trop sensibles aux médiocrités du « temps ». Je m’étais pourtant promis d’y rester indifférent. Mais voilà, deux, trois minutes d’inattention avaient suffi pour y céder.
Demain, donc, je garderai ma petite fille Mila. Ses enseignants font grève et son école sera fermée. Elle aura onze ans dans les prochains jours. Pour rester le plus longtemps possible auprès d’elle, de son grand frère et sa grande sœur, je suis attentif à l’évolution de leurs mœurs sociétales et culturelles. Elles ne sont pas forcément à mon goût, mais je fais l’effort de les comprendre. Je pense aussi leur transmettre une part de ce que je sais ou crois savoir du monde. On s’apprend, pour tout dire. C’est ce que j’aurais aimé pouvoir dire à ce jeune enseignant révolté entendu ce matin. Je lui aurais dit aussi, qu’à la réflexion, je le trouvais bien « vieux » pour son âge ; que je me sentais plus fort et plus jeune que lui. Et que je plaignais ses enfants de l’avoir pour maître.
« Chacun de nous est plusieurs à soi tout seul, est nombreux, est une prolifération de soi-même (…) Il y a des gens d’espèces bien différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent différemment. » Une notation de Fernando Pessoa dans son Livre de l’intranquillité, fort connue et très souvent paraphrasée par nombre d’auteurs après lui. La relisant, je songeais que la cohabitation de ces gens d’espèces différentes en nous est souvent difficile, éprouvante. Tendue, inquiète. Ennuyeuse. La violence aussi parfois s’y glisse. Puis s’estompe, se calme, reflue. Rares sont les moments de paix. Il suffit pourtant de peu de choses. Comme ce matin ce morceau de ciel rouge effrangé au-dessus de la Clape. Il trouait d’épais nuages noirs. C’était beau. Évident. Tous l’admettaient.
Illustration : Fernando Pessoa vu par Anna Bak-Kvapil
À quoi bon batailler mon ami ? À quoi bon dépenser ce qui te reste d’énergie ? Tu n’as plus « vingt ans ». Tes artères sont en partie bouchées, tes jambes tremblent et le temps passe trop vite. Hier encore, tu étais aux obsèques d’amis communs. Ce qui devrait t’alerter. Qu’as tu à prouver dans ce monde virtuel où je te vois quotidiennement dénoncer la démagogie des uns et les illusions politiques des autres. Elles furent les nôtres aussi, t’en souviens-tu ?
Tu es toujours de gauche, ne cesses-tu de dire à tes contradicteurs de notre âge, qui le sont plus encore que toi, renchérissent-ils. À gauche. Ce qui dénote, permet moi cette remarque en passant, un gâtisme précoce, déplaisant et vulgaire. Cesse donc de l’entretenir Gérard. Ou tu finiras par leur ressembler. Ne vois-tu pas qu’épuisés et rongés par leurs « passions politiques », ils radotent. Comme ces « petits vieux » que je vois tous les jours assis sur le même banc. Au soleil, à l’abri du vent.
Retraités, tes faux amis virtuels, Gérard, t’expliqueront jusqu’à la fin de leurs jours que les caisses de l’Etat et toutes les autres sont pleines ; que leurs prétendus déficits sont des artifices politiques inventés par « un pouvoir à la solde du patronat mondialisé » ; qu’il n’est pas vrai que l’espérance de vie des retraités augmente tandis que le nombre d’actifs pour financer leurs pensions diminuent. Crois-tu donc les convaincre que ne rien changer ou revenir à 60 ans, comme les plus dingos le voudraient, c’est refiler sournoisement l’ardoise aux générations futures qui devront la régler par une augmentation brutale de leurs cotisations. Ou bien ouvrir alors inconditionnellement toutes les portes du pays à des populations d’immigrés.
Je ne te le répéterai jamais assez mon ami, le temps nous est compté. On me dit que ton jardin est en friche, que tu ne sors plus, n’écoute plus tes proches et reste collé devant ton ordinateur, ton iPhone et ta tablette afin de rien manquer de toutes les polémiques en cours. Tu ne t’appartiens plus Gérard ! Prends l’air, respire, lis. Rêve à la terrasse d’un café où en pleine nature. Que sais-je encore. Le monde est à toi. Malgré tout. Il n’est pas sans beautés. Vis, mon ami ! Vis donc !
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]