Errer, c’est « aller d’un côté et de l’autre sans but ni direction précise ». Une définition à laquelle j’ajouterais quelques mots. Car errer, en effet, implique l’idée d’être seul et de s’en aller à pied. C’est en tout cas dans cet état d’esprit, que ce matin encore, j’ai quitté mon appartement sur le coup des 10 heures. Et ce sont mes premiers pas qui, finalement, m’ont entraîné sur les berges de la Robine. Rien donc de réfléchi ou de rationnel dans ce choix, mais la seule obéissance à l’automatisme de gestes guidés par le hasard ou l’inconscient. À l’unisson étaient aussi mes pensées qui vagabondaient et s’agitaient. Mais, au bout du compte, je constate toujours qu’à défaut d’un but à atteindre et d’une direction à prendre, je trace dans l’espace à peu près la même empreinte et que mes pensées tournent autour des mêmes idées. Errant, on ne peut donc totalement écarter l’idée d’aller en un sens. Sur terre, comme en esprit…
Je consigne souvent sur cette page des moments de vie qui peuvent paraître mineurs et sans intérêt à de nombreux lecteurs. Certains, en privé, d’ailleurs, me le reprochent. Ils voient dans ce retrait de l’actualité politique surtout – relatif toutefois –, une forme de démission. Ou, pire, de fatalisme. Ce qui, je tiens à les rassurer, n’est évidemment pas le cas. Disons plutôt que je n’ai pas le goût de rajouter des commentaires à des commentaires qui, pour la plupart, ne se distinguent guère sur le « fond » – attendu –, ni sur la forme, – fréquemment banale. Je n’ignore pas cependant, et goûte, ceux de quelques « amis », enviés, dotés d’un réel talent pamphlétaire. En vérité, si je relate ici des moments de vie, comme on tient un journal, c’est toujours pour les dégager de l’actualité immédiate, y chercher une signification, un drame, un visage… Ou le mien. La saisie d’un instant, d’une impression, d’un sentiment devient alors une image métaphore. Plus ou moins réussie. Et que je découvre moi-même. Un peu plus tard.
Fort vent de Nord-Ouest, ce matin. Et froid ! Il entraîne vers la mer d’épais nuages bas et gris que trouent quelques rares puits de lumière. Les toits et les murs de la ville n’ont rien qui éblouissent les yeux. Leurs traits sont ternes, leurs formes plus lourdes. Comme celle des passants que j’aperçois de ma fenêtre. Le noir et le gris découpent leurs silhouettes. Ils marchent plus vite, le dos courbé. On dirait qu’ils portent le deuil d’un été sec et brûlant. L’automne n’a pas ses couleurs douces habituelles. Les choucas sont revenus qui, tous les soirs, à la même heure, disputent aux pigeons les tours Aycelin et de Saint-Just. Ils volent autour en criant, excités. Plus hauts, deux ou trois rapaces seront lâchés et fonceront sur des nuées d’étourneaux. Ils ne suffiront pas à les éloigner. Un homme tentera de les faire fuir en allumant des fusées. Elles feront un bruit épouvantable. Il fera nuit. Leurs yeux grands ouverts, des enfants trembleront sous leurs draps. Un sourire, une caresse les apaisera. Peut-être ! Trois fois rien. Comme, hier, cet homme perdu dans cette salle de détresse commune, venu vers moi, assis près de ma mère. Il a pris ma main du bout de ses doigts ; l’a regardée puis s’en est allé, le corps cassé. Sans un regard ! « Tu as des choses à faire Michel, il est temps de partir… ». Sur la route du retour, un coup de fil d’un ami. Il me parle de l’exposition d’Edvard Munch au musée d’Orsay. Son titre ? « Un poème de vie, d’amour et de mort ». Il ne pouvait pas savoir d’où je venais… Je lui ai dit que j’irai la voir aussi…
Hier, à Bram, dans l’Aude, Carole Delga, la présidente PS du Conseil Régional de la Région Occitanie, a lancé son « mouvement » d’opposition à la ligne pro Nupes de la direction de son parti. Elle a exhorté les participants à « travailler » à un projet de société qui « change la vie ». Que ça ! Et pourquoi pas changer ou raccourcir la mort, tant qu’on y est ? Voilà bien le genre de slogan et d’idées générales « ni vraies, ni fausses, ni justes, ni injustes, mais creuses » (Paul Veyne), et un tantinet désuète et ridicule, en l’occurrence, que plus personne ne veut entendre. Renaud Dély, qui participait à ces Rencontres, avait pourtant rappelé qu’une des faiblesses de la gauche, déconnectée du réel et repliée sur des thématiques communautaristes et identitaires, consistait à se réfugier dans l’indignation et la surenchère démagogique : « La colère est légitime, mais elle n’est pas pour autant le moteur de la gauche ». Une intervention sans concessions à la doxa politicienne de gauche que les participants ont écouté, note joliment le journaliste de l’Indépendant présent : « d’une oreille très discrète. Une attention toute relative… qui était surtout le fait d’une atmosphère conviviale et de la perspective d’un bon repas après une matinée d’ateliers intenses. »
Hier après-midi encore, j’étais sur la plage un livre à la main. Il faisait beau. Pas un nuage pour adoucir la lumière, mais un léger vent marin pour rafraîchir le corps. Assez proche, une jeune femme allongée sur une serviette « prenait le soleil ». Une forme sans vie, sans histoire. Comme abandonnée. Pendant quelques instants, j’ai imaginé deux ou trois choses d’elle. Un fantôme d’être, mais animé. Plus humain. Une large couche de nuages gris barrait l’horizon. Le vent avait forci. J’ai posé mon livre sur le sable, et je me suis couvert d’une serviette ; et j’ai laissé mon esprit à la traîne ; à l’abandon. Demain et les jours suivants seront plus frais et pluvieux. Il faudra sortir des armoires des vêtements plus épais, plus lourds. Ce sera la fin de l’été. Des jours suivront. Je jouirai d’une mélancolie vague et douce.