Lundi matin,11 heures. C’est jour de marché à Gruissan. J’y viens pour acheter melons et abricots. Chez Frédéric. Il est d’Agel, un petit village près de Bize-Minervois. La chose faite, je m’installe à la terrasse de « Bernard artisan boulanger pâtissier », à l’ombre.
Les Halles sont à Narbonne ce que l’andouille est à Vire et la bêtise à Cambrai : sa carte d’identité hexagonale. Et l’été, nous y sommes, on y voit plus de touristes le nez dans leur « Routard » que d’autochtones tirant leurs caddies. Surtout le dimanche ! Quand sonnent les cloches, ils déboulent en effet comme bigotes à Lourdes sur l’étal des olives et celui des poissons. On leur a dit que « c’était çà le Midi » ! Ils font alors une provision effrénée d’images ; des images de cartes postales qu’ils commenteront au « bureau » autour du distributeur de café, près de la photocopieuse. On ne voyage plus, hélas ! on collectionne des clichés.
Pour en revenir à mes Halles, j’insiste sur le possessif, elles ont pour moi l’accent de mon grand-père : un mélange de « valencian », de patois et de français. Le dimanche, il occupait son centre géométrique avec ses amis espagnols originaires du même village, Cox. Tous refaisaient le monde dans leur langue natale. C’est là que je le rejoignais. J’avais alors le sentiment d’un ailleurs à la fois lointain et familier. Il m’emmenait parfois sur les Barques où son amie d’enfance vendait des « churros », gros et gras.
Ce marché couvert est aujourd’hui à la mode ! On y croise clochards et notaires, rmistes et gros bonnets. J’y rencontre toujours Maruenda, qui toujours monte et remonte l’allée centrale. Il travaillait sur les chantiers et a bien connu mon père. Chaque année, il descend à Cox. Il y possède une maison. Quand il en revient, il me donne des nouvelles de la « famille ». C’est un bon connaisseur de Miguel Hernandez *, le poète. Il a en sa possession une « somme » de bouquins en espagnol sur sa vie et de son œuvre.
Je ne sais si ces Halles sont le cœur de Narbonne, comme l’affirment les guides touristiques, mais elles font battre le mien. Quand j’en parcours les allées, il bat toujours au rythme de ma mémoire et de mes souvenirs… C’est le plus beau des marchés de France ! Marie-Sophie Lacarrau l’a confirmé aujourd’hui, lors de son journal télévisé de 13 heures, sur TF1. Les narbonnais et les élus sont enthousiastes. La presse locale est au diapason. Oui, ces Halles sont belles ! Et elles le sont plus encore sublimées par le souvenir.
9h30, devant la petite porte de l’ancienne entrée du cimetière de l’Ouest, cet admirable cyprès qui toujours plus haut par delà tout oubli s’élance et s’étire jusqu’au ciel.
Dans mon département, l’Aude, ses habitants se sont réveillés un lundi matin avec trois députés RN. Et depuis, comme partout ailleurs dans ce pays, sonne un même concert de lamentations sur un seul thème, obsédant : « c’est la faute à Macron » ; un concert envahissant tout l’espace radiophonique et télévisuel, notamment, et comme dirigé par un « chef » omniprésent mais invisible, en quelque sorte fractal, qui en donnerait le rythme et le ton face à des spectateurs, de moins en moins intéressés cependant, cherchant à tout prix un exutoire à leurs désirs contradictoires. Aussi, comme toujours dans ce genre de circonstances, j‘en arrive à me demander si ce « chef » symbolique là, toujours en état de guerre permanente et voulant toujours « tuer le Père », n’était pas malheureusement la preuve d’un rapport des « français » et de leurs représentants, au réel politique, relevant moins, pour le comprendre, de « sciences » prétendument spécialisées, que de la psychanalyse.
Entre le grau des Ayguades et la plage des Chalets, la mer grondait, l’air était poisseux et les nuages bas, noirs, bouchaient l’horizon et couvraient la Clape. Tout était gris. L’écume seule traçait ses sillons argentés sur des vagues déchaînées. Le monde était sombre, en colère. Pour franchir le chenal de Mateilles, j’ai pris la passerelle joliment nommée « des mots doux ». Le ciel s’était soudainement éclairci. Je m’y suis arrêté quelques instants, avant de continuer ma route. Un simple mot suspend le temps. Il suscite un enchaînement infini de pensées. Doux ! Quand hier encore sur la plage le sable griffait les visages et des mots sur les ondes violentaient les esprits. Le jour le plus long de l’année ne tiendra donc pas sa promesse, pensais-je : il se couchera sans lumière. Mais quelle paix après de si vains efforts !