Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

      

 

 

 

 

Jeudi 8 novembre de l’an 2012.

 

Mon oncle, te souviens tu de ces foules délirantes à qui François de Gouda  promettait , dans un vacarme d’éclatants concerts de tambours et sous d’épaisses pluies d’innocents confettis, de réenchanter le rêve français ? C’était avant qu’il ne soit adoubé, dans ce temps de passions et d’illusions collectives où la grandiloquence et le ridicule de la formule passaient pour le signe d’un esprit habité par une France, son histoire et son destin, divinisée. Ah ! ce François, dit le Normal, qui ne l’est pourtant point, usant de tous les procédés d’une  rhétorique enflammée ; et ces masses infantilisées tombant en pamoison, comme aux pieds d’un aimé pourtant d’apparence banale et au port d’épicier, ce qui l’obligeait à hausser son menton de petit homme replet et forcer sur sa voix mal posée. Le temps n’était pourtant pas au romantisme d’un avenir radieux sans efforts et sacrifices, me disais-tu ! Il faudrait bien un jour stopper et réduire les déficits publics : les fabriques du Roi et les biens de l’église ayant été déjà vendues. C’est aux dépenses de la Cour et aux bourses des français qu’il faudrait s’attaquer, ne manquais tu pas de me préciser ! Nenni ! semblait te répondre en écho l’ambitieux aspirant au pouvoir qu’était alors François, pas encore premier. Et tu t’offusquais que ne soit fait appel à la lucidité et au courage plutôt qu’aux chimères d’un désir de changement malignement flatté. Te souviens-tu de ce que je te répondais ? Sur cette ruse de la raison qui souvent dans l’histoire revêt les brillants habits du mensonge ? Le cynisme est au cœur du politique, ajoutais je, et, te faisant douter de mon sérieux, précisais que l’élection d’un Roi rosien, comme dans le passé, était sans doute la meilleure des options pour faire accepter aux versatiles sujets de notre beau Royaume des idées et des réformes qui furent si mal considérées, du temps du feu roi Tarkoly. Je te rappelais ainsi la manière dont le sieur Guéguérovoy avait imposé la financiarisation de notre économie en 1983 et les ventes de biens d’Etat orchestrées par le sieur Gospin entre 1997 et 2002, notamment. T’en souviens-tu, mon oncle ! Aujourd’hui, c’est le traité Tarkoly-Tankel, honni hier, que la Cour a adopté, et qui adoptera demain ce qu’elle vilipendait avant hier encore : l’augmentation de sept milliards d’euros de la TVA. Désormais aussi, les évacuations musclées de camps de nomades roumains se font dans le silence gêné des belles âmes ; peut-être même  que les 35 heures de  dame Baudy passeront un jour prochain à la trappe. Manolo Valsez savoure dans son coin ce grandiose retournement de veste : c’est son programme qui en effet est mis en place par son concurrent rosien. On comprend pourquoi Tarkoly voulait en faire son ministre !… Stupéfait, le peuple s’étrangle, ses représentants frôlent l’indigestion (de chapeaux) ; et François, dans de complaisantes et dévouées gazettes détenues par des amis banquiers, feint de s’étonner qu’il n’y ait plus de respect pour son honorable fonction ! On croit rêver, mon oncle ! Mais qui pouvait croire une seule seconde qu’il en irait autrement ?  Aussi, dans les lucarnes et les gazettes, s’apprête-t-on à saluer le courage du Roi et couvrir ses mensonges. Ne dit-on pas après tout que les choses sont bien autres qu’elles ne paraissent ; et l’ignorance, qui n’avait regardé qu’à l’écorce, se détrompe dès qu’elle va au-dedans. Comme le dit ton ami Balthazar : « Le mensonge est toujours le premier en tout, il entraîne les sots par un l’on dit vulgaire, qui va de bouche en bouche. La vérité arrive toujours la dernière, et fort tard, parce qu’elle a pour guide un boiteux, qui est le temps. »

Ici, mon oncle ! le ciel se couvre et le vent forcit. Boneil et Sophie ne président plus la section rosienne du Comté. Nous ne verrons plus quotidiennement leurs visages enfantins et réjouis de fonctionnaires comtaux reposés et détendus dans les colonnes du « Dépendant » ; leurs diatribes sur jouées sur ces fleurs qui scandaleusement fanent en hiver vont nous manquer : ils étaient si rigolos ! Plus sérieusement, à la crèche de Mila, dans l’indifférence générale, on exécute sa directrice en l’envoyant précipitamment,  à la veille d’une retraite méritée, dans un placard qui ne serait pas doré ; ce qui scandalise les parents tandis que Labatout se tait. Voilà le genre de petite histoire qui en dit long sur l’idée qu’on se fait de la grande, mon oncle ! Et qui déchire les voiles  de prétentieuses et fausses humanités…

Je t’embrasse ! Porte toi bien en ces temps chahutés, et reste à couvert…

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Jeudi 1 Novembre de l’an 2012

Mon cher parent,

8 heures et demi ce matin. Le ciel était sans nuage. Il ne faisait pas un temps de Toussaint. Un temps pour une longue marche, plutôt. Ce que je fis ; en direction de l’écluse de Raonel, en prenant, du bas de chez moi, l’ancien chemin de halage. Aller retour : deux petites heures avec, dans les oreilles, la musique de Scriabine.

Peux être connais tu ce russe aux compositions « planantes » ? Il s’inspirait des écrits du Père Louis-Bertrand Castel (1688-1757), inventeur d’un clavecin qui associe couleurs et sons, et créait des sonates à la manière des peintres. Un jeune poète s’y exercera aussi, avec des lettres… Bref, le bonheur, mon oncle ! Dans ces moments, le temps et l’espace changent de dimension : hier est demain, les souvenirs se mêlent, les personnes et les lieux aussi. On refait l’histoire à sa façon…

C’est au moulin du Gua que j’aperçus ces deux canards : un couple. Paisible et muet ! Loin, très loin de la mare aux ambitions politiciennes dont nos gazettes font quotidiennement leur festin ! Dans le Comté, trois, bientôt quatre, cinq, six peut-être ! prétendants à sa direction se volent dans les plumes, pendant que les ministres en charge de notre beau royaume , forts en verve, couaquent à plein bec, mon oncle ! A  Paris comme à Narbonne, on se croirait dans une disputeuse basse cour ; une basse cour dont la nature, comme tu le sais, est de se ruer  sur le poulet ou le caneton malade pour l’achever ou l’expulser. Ce qui présage un très mauvais sort pour certains dont l’ostentatoire vanité ne parvient plus à cacher une profonde et définitive incompétence. Par charité chrétienne, en ce jour de fête de tous les saints, je ne t’en dirai pas les noms ; que tout le monde cependant connaît. La sagesse voudrait qu’ils méditent l’évangile du jour, celui de Matthieu : «  Heureux les doux… »; ils ne le feront pas ! La fantasque couvée de François de Gouda comporte trop de vilains petits canards : des verts, des roses plus ou moins foncés… aux longs becs empressés. (Oui, mon oncle, il en est de longs aussi chez les canards !) Quant à celle qui voudrait nager dans les eaux du pouvoir comtal où patauge le Comte Labatout, tout aussi fantaisiste, elle ne sait plus à quel saint, si j’ose dire, se vouer. (Si tant est, qu’à Dieu ne plaise, un canard est l’âme pieuse !) Aujourd’hui, c’est le sieur Cloture, qui prend sa plume ; hier c’était le sieur Miro, qui jouait du grelot. Demain verra Lemaillet taper des pieds et Molly jouer les Valkyries. Le sieur Godasse, lui, benoîtement observe, les yeux mouillés et le cigare aux lèvres. Et voilà le décor planté pour la comédie de l’humanité, mon oncle ! Notre scepticisme n’aura rien d’amer, je te rassure. Et nous rirons !…

Ah ! j’oubliais de te dire que Labatout a trouvé le filon qui fera du Comté un véritable Eldorado. L’industrie du sexe était en salon dans son Parc des Expositions. On y a donné des leçons de fellation et présenté des explorations digitales. Sentant le coup venir, si j’ose dire encore, le Comte s’est empressé de s’écrier « L’érotisme oui, le porno non ! » Las ! le gazetier du Tirelire, pour en avoir été témoin, l’affirme: dimanche dernier il n’y avait pas un poil de différence entre les deux…

Je te laisse à ta douce et facétieuse rêverie, mon oncle ! et te donne l’absolution. Mounier, qui n’était pas un mécréant, n’allait-il pas jusqu’à dire de l’érotisme qu’il portait un élan et un mystère qui l’ont toujours associé dans de troubles combinaisons aux formes mal dégrossies du sentiment religieux !…

Bonne fête de la Toussaint, mon bien aimé parent.  

 

Chronique du Comté de Narbonne.

Hôtel de Ville de Narbonne

Hôtel de Ville de Narbonne

Vendredi 26 octobre de l’an 2012.

Mon oncle !

Il est des hasards de lecture… providentiels. Sur mon bureau, traîne, depuis mardi, la page 2 du Dépendant entièrement consacrée, si je puis dire, à la guerre des deux prétendants, pour l’heure, au fauteuil de Labatout, à côté de laquelle est ouverte cette lettre surlignée de Saint Paul aux Ephésiens : « …ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez à cœur de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. » Eh bien, ces deux là, mon oncle : Lemaillet et Molly, ne sont pas prêts à entendre ces sages paroles du génial Apôtre. Comme on dit dans les réunions dînatoires orchestrées par ton ami de la Brindille, entre magrets et cigares : « ça tombe ! ». Dans cette page deux donc, pour y contrer un Lemaillet au nœud de cravate trop serré sur un col italien trop ouvert, Dédé Molly y fait figurer Gourdès, son porte arbalète coiffé à la Tintin et armé d’un gourdin. Ce bonhomme, sous des airs pépères de précepteur à la retraite, éprouve à l’encontre du  couple que formaient alors Lemaillet et Lemonyais quand ils dirigeaient les affaires du Comté, une  vive agressivité. Il cultive le sentiment d’avoir subit leur mépris quand, à leurs côtés, il participait à sa gestion et en garde, depuis leur séparation, un profond et durable ressentiment. Nonchalant d’allure et de parole, sa plume peut être cinglante; dans cette page du Dépendant, elle renvoie le « parti oxygéné » à une affaire familiale spécialisée dans l’élaboration de « soupes à l’union…insipides et indigestes », entre autres gracieusetés culinaires. Autant dire que l’esprit des lieux, loin des tendres vertus évangéliques, barbotte plutôt dans d’aigres méchancetés politiciennes, mon oncle! Comme tu peux le constater, on est loin des conseils prodigués par l’apôtre des gentils ! Il est vrai que dans ce vaste champ de l’intrigue tout se cultive ; la vanité surtout, y compris celle des sots, la seule faute qui soit risible, dit ton ami Henry. Rions donc, mon oncle ! Bonne nuit…

Chronique du Comté de Narbonne.

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Mercredi 17 octobre de l’an 2012

Le pouvoir est un mensonge, et le ministre Mentoujours son icône, mon oncle ! Lui, qui tantôt voulait démondialiser, court désormais de fabriques en ateliers pour éteindre des incendies en conspuant leurs patrons et les banquiers. Son impuissance est à la hauteur de son insolence de parvenu : infinie ! D’aucuns de ses amis y voient la cynique main de François de Gouda. En lui confiant le Redressement manufacturier sans toucher aux lois de l’économie, il le condamnait en effet au ridicule du matamore, qui est sa pente naturelle et qui demain le fera tomber. La cruauté et la ruse sont au cœur de la politique et Mentoujours, enivré d’un pouvoir sans moyens, en est aujourd’hui la victime. Les banquiers et les patrons  apprécient la manœuvre ! Indignés dans la rue, ils rient sous cape à ses rodomontades et se moquent de ce faux puritain dont la dame arbore des lunettes en écailles de tortue  faites sur mesure pour la modique somme de 12 000 euros. Normal sans doute pour une gazetière de gauche à la mode, visiblement loin des réalités du peuple des usines chers à son compagnon de ministre ; un couple de notre temps  emblématique d’une élite politique et médiatique coupée des réalités populaires et droguée aux ors du pouvoir et de l’argent.

Dans le Comté, les affaires sont tout aussi tristement comiques, mon oncle ! Labatout règne dans le style original de ces terres audoises dont on dit des habitants qu’ils ont « la tête plate ». L’avenir y semble sans espoir et la fatuité se mélange à l’amertume dans un présent au souffle court. Le Comté s’avachit ! Seul Patrick de la Natte reste maigre tandis que son seigneur grossit et ses habits se fanent ; mais ils marchent toujours de concert, le dos voûté sous le poids de l’ennui. Dans le camp opposé, c’est la guerre ! Après celle des deux roses, au printemps dernier, voici celle, cet automne, des trois vilains petits canards. Qui seront bientôt quatre quand le sieur de la Godasse s’invitera dans cette mare aux ambitions comtales. Un quadrille mortel dans une trop petite mare où  s’exécutent déjà, au rythme des tambours, d’agressives figures chorégraphiques. Ils s’y noieront,  mon oncle ! Sans fleurs, ni couronnes ; dans l’indifférence et le silence de l’oubli…

Lundi, j’étais, avec mes trois amis, dans le Conflent, à Bélesta précisément. Le vent et une petite pluie nous attendaient au départ d’une randonnée plutôt facile. Il a fallu attendre le milieu de la matinée pour que le Canigou enneigé s’offre enfin à nos vues. Quelle beauté ! La montagne  nous offre tout ce que la société moderne oublie de nous donner, n’est ce pas mon oncle ?

Je t’embrasse.

 

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Dimanche 7 Octobre de l’an 2012.

Il faisait un temps idéal pour une longue marche en montagne. C’était lundi dernier en Vallespir, à Serralongue, mon oncle ! A neuf heures du matin, le Canigou, bleu et blanc, sortait d’épais nuages. Sept heures plus tard, au sortir d’une superbe hêtraie, le village, son église et son conjurador, apparaissaient en pleine lumière. Une épreuve, une grâce aussi…

Oui, mon oncle ! une grâce car on vit plus longtemps en marchant… Le temps ralentit, il prend une respiration plus ample, plus souple; la lenteur de la marche, sa régularité, allonge  la journée : le temps s’étire, s’étire… La relation à l’espace se dilate aussi : la beauté des paysages est plus intense à gravir des pics et des crêtes, franchir des cols. Marcher nous rend surtout beaucoup plus ouvert et disponible à la pensée. En laissant au bord des chemins les masques et les rôles sociaux qui nous sont imposés, on se retrouve. Comme on retrouve, tous ses sens en éveil, la joie et les plaisirs simples du manger, du boire et du repos. Oui, mon oncle, la marche est une renaissance ! On se débarrasse d’anciennes fatigues, de vieilles idoles, on se donne du champ. C’est savourer la grâce d’être au monde, s’interroger sur soi, sur son rapport à la nature et aux autres. Marcher fait penser ! Quelle qu’en soit la forme : promenade, flânerie solitaire, exercice d’hygiène, la marche est une école de sagesse, marcher est une philosophie.  Bien plus ! Un exercice spirituel. Et puis n’écrit-on pas aussi avec ses jambes, comme le note, avec quel style! , ton ami Frédéric : « Le matin je montais en direction du sud, par l’admirable route de Zoagli, longeant les pins parasols, et dominant du regard très loin la mer. L’après-midi je faisais le tour de la baie de San Margherita jusqu’à Portofino. […] C’est sur ces deux chemins que m’est venue toute la première partie du Zarathoustra, surtout Zarathoustra lui-même comme type : plus exactement, j’ai été saisi par lui. » Saisi par lui ou par un autre, qu’importe après tout, il faut continuer sa route, tracer son chemin; chuter et se relever, souffrir et sourire, se perdre et rêver… Aimer enfin ! Chercher en soi sans cesse de quoi nourrir sa vie. Seul, irrémédiablement seul sur ce chemin qui mène au centre de son propre être ! C’est le prix de la liberté, n’est ce pas, mon oncle ?  Tu l’as bien compris, du Comté, de la Cour et de leurs jeux, ce soir, je ne t’en dirai mots. Il convient, comme tu me l’as appris, de savoir arrêter le temps des artifices, ne serait ce que le temps de cette brève correspondance, et s’inscrire, je ne trouve pas d’autres mots, dans celui de l’éternité. Le monde prend ainsi de la profondeur. Comme lundi dernier, en Vallespir, sur les crêtes de Serralongue, en compagnie de mes amis…

Aujourd’hui dimanche, à midi précisément, nous seront rassemblées, parents et amis, dans le cloître de la cathédrale Saint Just. C’est  jour de baptême pour notre dernière petite fille, Mila ; le début d’un  long voyage spirituel balisé par les signes et les symboles d’une longue et belle tradition. A elle et à elle seule, le moment venu, d’en découvrir, au prix de nombreuses épreuves, le sens et les contours…Dans quelques années, je l’espère, je me tiendrai à ses côtés, ni trop près, ni trop loin, ma main dans la sienne, le long d’une plage ou au flanc d’une colline. Libres comme le vent, nous cheminerons…Ensemble; ensemble et séparément !

Je t’embrasse, mon oncle.

 

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