Revient toujours le temps des jonquilles…

 

 

Elle habite mon quartier. Mais je ne la vois qu’une fois l’an. Quand fleurissent les jonquilles. L’année dernière, elle avait calé son antique bicyclette contre un banc de pierre de la petite place située juste devant mon petit immeuble. Là, elle présentait quelques bouquets de jonquilles dans une cagette attachée sur le porte-bagages de son vélo. Ce matin, c’est au début de la rue du Pont des Marchands, côté place de l’Hôtel de Ville, que je l’ai aperçue. Assise sur la bordure entourant un palmier, elle lisait. Son vélo et ses jonquilles étaient, comme chaque mois de mars de chaque année, à ses côtés. Et je l’ai rituellement remerciée d’être encore là dans sa grande simplicité. Pendant que nous bavardions, des gens passaient devant nous, indifférents à cette innocente messagère de la fin des jours tristes et des heures courtes ; ils passaient insensibles et froids devant tout ce jaune en bouquets qui semblait appeler le soleil. Ainsi allait un monde dénaturé. Sec et sans âme.

 

   

Ce mercredi 8 mars était un jour comme un autre…

 
 
 
 
Me.8.3.2023
 
Moments de vie.
 
Ce matin est un jour comme les autres : soumis aux caprices de la météo et aux incertitudes de la vie. L’appel d’une proche parente en difficulté m’a conduit sur la route de Gruissan : son mari venait d’être amené aux urgences. Seule et handicapée, sujette à de nombreuses chutes, elle serait en confiance chez nous en attendant son éventuel retour. J’ai pu admirer aussi de part et d’autre de cette voie départementale longeant le massif de la Clape, des amandiers en grand nombre au plus beau de leur floraison. L’air était calme et doux.
 
Illustration : Amandiers en fleurs de Théo Van Rysselberghe.
 
 
 
 

C’était dimanche matin, sur le cours Mirabeau.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Lu.6.3.2023
 
Moments de vie.
 

– Tu vas bien Michel. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Je viens rarement en ville, il est vrai. Je te lis tous les jours, cependant. J’aime ton regard sur les choses et les gens, mais je te trouve bien mélancolique ces derniers temps. Pessimiste plutôt. Ton style reste, mais je regrette tes « vignettes » teintées d’ironie. Toujours bienveillantes d’ailleurs. Tu as des soucis ?

– Non, Alain, je n’en ai pas. Ni mes proches d’ailleurs. Que je sache en tout cas. Mais tu as raison, mes petits textes ne donnent pas de la « vie » une image riante. L’âge ou, plus sûrement, un trait de caractère, ou les deux à la fois, sans doute les orientent, les colorent. Le désir aussi de m’extraire d’un récit quotidien où abondent mièvreries, engagements et injonctions de toutes sortes. Cela dit, Alain, tu as raison. Je vais essayer de forcer ma nature…

– Promis !

– Oui !

C’était dimanche matin, sur le cours Mirabeau. Il était 11 heures environ. Il faisait un grand soleil. Les terrasses étaient animées malgré un vent du Nord faible, mais froid. Les halles l’étaient aussi – animées –, où se pressaient et se bousculaient les mêmes clients devant les mêmes étals exposant les mêmes marchandises. On pouvait y voir et entendre également de petites troupes de touristes espagnols traîner un vague ennui dans les allées ; tandis qu’aux pieds des bars, des habitués, serrés comme des harengs en caque, indifférents aux mouvements de la foule, prenaient bruyamment leur apéritif dominical. Un monde bien loin de celui anxiogène et violent présenté par nos journaux, télés et réseaux sociaux, songeai-je. Là, en effet, l’ordinaire de la vie s’y déploie à l’abri des images de guerres, des polémiques intérieures et des drames planétaires. Une oasis temporelle en quelque sorte. Banale, pleine et vide à la fois dans laquelle j’aime déambuler. Sans buts ni raisons. Surtout les dimanches.

 
 

Quand la photographie arrête le temps…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sa.25.2.2023
 
Sombra y sol !
 
C’est avec son petit appareil photo pour enfant à tirage instantané que Mila est venue chez nous ce matin. Pourquoi ? Nous n’en saurons rien. Il a donc fallu prendre la pose quand elle nous le demandait. Coïncidence troublante, j’ai regardé hier soir sur Netflix, Kodachrome. Dans ce film de Marc Raso, Ed Harris (formidable !) joue le rôle de Benjamin Asher Ryder, un photographe célèbre en phase terminale d’un cancer du foie. « Pourquoi la photographie ? Pour arrêter le temps ! » dit-il à son fils Matt, abandonné très jeune à la mort de sa mère et confié à son oncle paternel et sa tante jusqu’à la fin de ses études universitaires. Ils sont alors sur la route, dans la décapotable rouge de Ben, en direction du Kansas, jusqu’au dernier laboratoire traitant encore les films Kodachrome (Dwayne’s Photo, à Parsons). Ben y mourra le lendemain de son arrivée. Mais il aura eu le temps d’y faire développer ses pellicules Kodachrome datant de plusieurs dizaines d’années. Celles des années heureuses. Les siennes, celles de Mat et de sa mère. Celles de l’enfance de leur vie commune. Des pellicules précieusement conservées par Ben et développées le jour même de sa mort. Quelques jours plus tard, Mat visionnera ces photos sur un grand écran dans l’appartement d’artiste de son père…
En nous quittant, Mila a laissé derrière elle quelques photos. Elles rejoindront bientôt celles que nous avons rangées au fil des ans dans une vieille valise en carton. Là, au fond de la plus haute étagère d’un sombre placard.
 
 
 
 
 
 
 
 

En ce jour, qu’aurait dit mon professeur d’espagnol…

 
 
 
 
 
 
 
Je.23.2.2023
 
Hommage.
 
Monsieur M. était mon professeur d’espagnol en 3ᵉ. Il était grand et mince. Ses cheveux avaient la couleur de ses yeux : noirs. Comme ses vêtements. Il ne restait jamais en place et se déplaçait lentement dans la salle de cours. L’espagnol qu’il nous enseignait était clair, limpide. Grave aussi. Et très musical. Je percevais déjà dans ses gestes et ses paroles une discrète, mais profonde, nostalgie. Depuis, j’en connais les raisons. C’est avec lui que j’ai appris et aimé cette langue qu’il était interdit de parler, du moins en ma présence, « à la maison ». Mon professeur d’espagnol était un homme bien et droit. Il m’aurait sans doute fait remarquer, aujourd’hui, ce substantif castillan Luz – Lumière – accolé à Saint Jean… On n’est jamais assez attentif aux sens des noms et des mots…
 
 
 
 
 
 
 
 

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