Son visage souriant et sa voix enjouée ont marqué mon enfance. Il était mince, élégant ; amical et gai. Mon père l’écoutait en boucle sur un tourne-disque de la marque Teppaz. « Bleu blanc blond » était sa chanson préférée. C’était dans les années 60, nous venions d’emmenager dans un appartement (une habitation à loyer modéré) du quartier Razimbaud : un ensemble de quatre immeubles voisinant des vignes, des jardins, et des terrains nus destinés à de futurs aménagements urbains. Dans mon souvenir, ce Teppaz et ce disque de Marcel Amont ont rejoint l’équipement du salon familial bien avant le téléviseur. Je me souviens aussi du jour où mon père s’est offert ce cadeau. Je l’avais accompagné jusque chez « Guy Radio », le « disquaire » de la rue des Ponts des Marchands. Quel choc ! J’y découvrais des objets fascinants hors de ma portée : des merveilles. Cette France là n’est plus et j’étais loin d’imaginer alors ce qu’elle deviendrait ; ce que seraient ses fulgurantes transformations. À sa manière, cette société plus sereine et plus confiante, plus fantaisiste aussi, Marcel Amont la représentait de bien belle, et tendre façon : « Blond, blond, le soleil de plomb /Et dans tes yeux/Mon rêve en bleu – bleu – bleu/Quand le vent claque la toile/De ton joli jupon blanc/Blanc, blanc comme une voile/Je navigue éperdument.
Monsieur M. était mon professeur d’espagnol en 3ᵉ. Il était grand et mince. Ses cheveux avaient la couleur de ses yeux : noirs. Comme ses vêtements. Il ne restait jamais en place et se déplaçait lentement dans la salle de cours. L’espagnol qu’il nous enseignait était clair, limpide. Grave aussi. Et très musical. Je percevais déjà dans ses gestes et ses paroles une discrète, mais profonde, nostalgie. Depuis, j’en connais les raisons. C’est avec lui que j’ai appris et aimé cette langue qu’il était interdit de parler, du moins en ma présence, « à la maison ». Mon professeur d’espagnol était un homme bien et droit. Il m’aurait sans doute fait remarquer, aujourd’hui, ce substantif castillan Luz – Lumière – accolé à Saint Jean… On n’est jamais assez attentif aux sens des noms et des mots…
Ils sont trois ou quatre sur l’axe reliant la place de l’hôtel de ville et le quartier de Bourg. D’autres seront un peu plus loin sur la promenade des Barques, postés à hauteur de la passerelle enjambant le canal de la Robine. Et d’autres encore ailleurs en des lieux parmi les plus fréquentés de la ville. Et ce tous les matins. Outre cette parfaite connaissance de ma petite cité et de ses mœurs, j’ai pu constater chez eux la grande diversité de leur composition et la constance de leur « engagement » Toutes les catégories d’âge et de sexe y sont en effet représentées. Avec le plus souvent une parfaite égalité homme-femme. Ils semblent heureux d’être ensemble et bavardent gaiement autour de leur présentoir mobile.
Pelé est mort. Et la planète foot est en deuil ! Que d’émotions sur les ondes et les écrans. On y pleure et sanctifie le roi Pelé. Sans retenue. Ailleurs, des foules expriment leur profonde tristesse. Je ne partage pas cette émotion collective. J’ai le sentiment d’être à côté, décalé. Il est vrai que ma culture n’est pas celle du foot. Je suis plutôt rugby. Ce qui ne m’empêche pas de « vibrer » aux victoires de l’équipe de France. Comme lors de la dernière coupe du monde. Mais sans jamais céder à l’idolâtrie de masse. Les foules en délire me font peur. Elles cachent tant des affaires et des passions qui les exaltent. La mort de Pelé est triste. Certes ! C’était un immense joueur de foot. Et j’aimais son sourire.
Les joueurs argentins ont certes vaincu les Français sur le terrain, mais ils ont perdu leur honneur dans l’après-match. Jamais dans l’histoire de la coupe du monde, il nous aura été donné d’assister à un tel déballage d’obscénités. Qu’il s’agisse de leur gardien de but brandissant la coupe du monde comme un pénis en érection ou des autres joueurs rassemblés autour d’une minute de silence en l’honneur du mort MBappé, cette équipe restera dans l’histoire de ce sport comme l’expression même d’une « morale » de l’indécence, de l’irrespect et du mépris. Et que leur entraîneur et les différentes autorités sportives argentines se soient abstenus de tout commentaire sur ces agissements en dit long sur leur état d’esprit collectif. Quant à Messi, s’il est, paraît-il, un « Dieu » chaussé de crampons, il aura failli à sa mission en ne restant pas à hauteur « d’homme ». Samedi, la noblesse, l’élégance et la tenue était incontestablement du côté de l’équipe de France. Ce match-là, les Argentins et Messi l’ont perdu. Une défaite morale qui devrait être enseignée dans tous les centres de formation.